- Fluctuat
Guei, 16 ans, arrive à Pékin, et y trouve un emploi de coursier. Comme de nombreux jeunes gens, il a quitté son village pour les promesses que la "grande ville" peut lui offrir. Il bénéficie d'un vélo qui deviendra sa propriété quand il aura accompli un nombre suffisant de courses. Alors qu'il a presque fini de le payer, celui-ci disparaît lui faisant perdre son travail par la même occasion. Grâce à une encoche, il reconnaît son vélo que Jian, étudiant, revendique comme sa propriété puisqu'il l'a acheté. Une lutte acharnée s'engage alors pour cet objet à l'importance si symbolique.
Si les deux protagonistes s'opposent tout au long de l'histoire c'est d'abord parce qu'il sont habités d'une volonté commune : ils veulent changer de statut. A cet égard, les premières images sont très significatives : elles nous montrent le directeur expliquer aux jeunes gens, à peine débarqués de leur village, que, si on les a lavés, habillés et coiffés c'est parce qu'ils représentent l'image de la société qui les emploie et que celle-ci est leur ticket d'entrée dans la Ville. Ainsi faut-il d'abord s'approprier les signes extérieurs du statut auquel on aspire avant de pouvoir le revendiquer.Dans cette optique, le vélo prend une valeur inestimable pour Guei car il est son moyen de travail, d'intégration et de liberté. De même, pour Jian, qui en a besoin pour faire partie intégrante d'un groupe et surtout séduire une jeune fille qu'il peut enfin accompagner sur le chemin des cours. La valeur du vélo, en tant qu'arme de séduction, est d'ailleurs pleinement démontré quand celle-ci succombe au charme du plus adroit des cyclistes. A la manière du paon, c'est en faisant la roue qu'il impressionne et conquiert sa belle. Celle-ci rejoint d'ailleurs nos deux héros dans sa volonté de gravir un échelon social en s'offrant au plus valorisant de ses deux prétendants, celui qu'on admire par ce qu'il montre.Tout le monde est donc victime de ce jeu des apparences jusqu'à la superbe femme que Guei n'ose regarder qu'à la dérobée. C'est une "femme riche de la Ville" donc inaccessible. En fait, elle n'en porte que les apparats, ce qui lui fera regretter sa timidité et lui signifie, par la même occasion, qu'il est bel et bien en train de quitter le monde rassurant des vérités de la campagne pour le trompe-l'oeil des villes. Son apprentissage est à ce prix.La guerre sans fin que se livrent les deux adolescents pour la possession de leur "petite reine" les transforme alors en héros absurdes. Guei perd, récupère, perd à nouveau son seul bien, luttant avec l'énergie du désespoir qui le transforme en une sorte de Sisyphe qui, après avoir défié les Dieux de la Ville, est condamné à pousser jusqu'à chez lui un vélo que l'on viendra de toute façon lui reprendre un peu plus tard. Le pacte de non agression n'y changeant rien puisque le vélo continue à partir et revenir. Et, alors même que cette figure mythique semblait s'achever, s'en dresse une autre, sous la forme du labyrinthe, qui vient lui signifier à quel point il est maintenant prisonnier de cette ville et de ses signes qu'il n'a pas finis de décrypter.L'auteur excelle à nous peindre un Pékin réaliste où la tension de Guei affleure à chaque plan. On comprend qu'il joue la partie la plus importante de son existence et son mutisme obstiné, au moment d'affronter les obstacles, en est une criante démonstration. Son silence rend palpable la force de sa résolution autant que sa difficulté à appréhender les codes d'un monde qu'il ne maîtrise pas. Il est difficile de rester insensible à cet adolescent qu'on se surprend à vouloir défendre, à qui on aimerait pouvoir glisser quelques mots pour l'aider à se sortir de situations qui lui échappent. Et, grâce à ce phénomène d'empathie, l'anecdote du début peut alors se transformer en une histoire universelle, que chacun peut s'approprier et mettre en correspondance avec sa mythologie personnelle.Beijing bicycle
Réal. : Wang Xiaoshuai
Avec : Cui Lin, Li Bin, Zhou Xun, et Gao Yuanyuan
France/Chine/Taïwan - 2000 - 1h53mn
Date de sortie : 25 Avril 2001