L'actrice italienne est à l'honneur, ce soir sur Arte.
La 7e chaîne consacre sa soirée à Sophia Loren, en proposant d'abord La Ciociara - La Paysanne aux pieds nus, puis le documentaire sur sa carrière concocté par Julia Bracher en 2018. Sophia Loren, une destinée particulière est déjà visible sur Arte.TV gratuitement, et il sera disponible jusqu'en septembre.
Fin 2020, à l'occasion de la sortie sur Netflix de La Vie devant soi, Première avait planifié une interview carrière avec la comédienne aujourd'hui âgée de 88 ans. Sophia Loren devait revenir sur ses films marquants, mais l'entretien ne s'était pas déroulé tout à fait comme prévu... Nous le repartageons ci-dessous, pour patienter jusqu'à sa soirée spéciale.
Article publié dans Première n° 512 (avec David Fincher en couverture).
À 86 ans, Sophia Loren, l’un des plus grands mythes filmiques vivants, repasse devant la caméra de son fils Edoardo Ponti pour La Vie devant soi, d’après le roman de Romain Gary. Toujours ahurissante de puissance à l’écran, « la Loren » accepte même les interviews.
Elle nous a recadrés à chaque fois qu’on a utilisé l’imparfait ou le passé composé dans une de nos questions. L’audience est téléphonique, le ton extraordinaire de naturel, de charme et de décontraction. « Ben oui, moi je ris, et pourquoi pas ? Vous allez m’entendre rire tout le temps, sauf quand les questions ne me plairont plus. Ah ah ah ah ! » Et la voilà qui rit. Depuis l’autre bout du fil, un morceau de légende cinématographique ricoche en cascade jusqu’à nous. Ça commence bien.
On a un peu oublié Sophia Loren. Sans doute parce qu’il lui manque les très grands auteurs consacrés, ceux qui faisaient Cannes et que Cannes faisait. Pas de Fellini pour elle, pas de Visconti, d’Antonioni, de Rossellini ni de Pasolini, le quintet majeur, celui qu’on apprend à l’école et que l’on repasse encore et toujours dans les salles de répertoire. Peut-être qu’elle était trop bien pour eux… Son film le plus célèbre reste Une journée partculière (1977), merveilleux chef-d’œuvre signé Ettore Scola, la rencontre entre une ménagère et son voisin homosexuel dans un immeuble romain, un jour de 1938 où Mussolini reçut Hitler à Rome. Une journée à parler, à se connaître et à se comprendre, en accrochant les draps aux étendoirs sur le toit, tandis que l’Histoire, la grande, est en marche, et que le temps est compté. C’était la dernière fois que Sophia Loren partageait la vedette avec son comparse préféré, Mastroianni. Deux ans après, elle serait à la retraite, ou presque, quelques apparitions par-ci par-là, des téléfilms, un soleil couchant.
On a un peu oublié la Loren, en dépit de son duo légendaire avec Marcello comme de son amitié artistique avec Vittorio De Sica, étendue sur plus de
vingt ans, partenaire à l’écran (dans le délicieux Le Signe de Vénus, l’un des premiers Dino Risi, l’irrésistible Dommage que tu sois une canaille d’Alessandro Blasetti) et son égérie/arme fatale dans sept de ses réalisations, en particulier le sidérant La Paysanne aux pieds nus (La Ciociara), où elle endure tout pour protéger sa fille de 15 ans, parcourant la campagne italienne en essayant d’échapper à l’armée allemande en furie comme aux exactions des bataillons alliés, lâchés comme des fauves affamés dans un pays dont ils ne savent plus s’il est ami ou ennemi. Le film, invraisemblable de violence, de cruauté sexuelle et de puissance stylistique, lui valut un prix à Cannes en 1961 (tout de même) et un Oscar de la meilleure actrice en 1962. Elle fut la première (et longtemps la seule) à l’avoir gagné dans un rôle non anglophone.
Bien sûr, il reste le souvenir des yeux et du sourire, démesurés, qui prennent chacun une moitié du visage, comme de ses formes qui n’en finissent plus d’être « généreuses ». En bref, il reste la Diva, l’une des présences physiques les plus dévastatrices que le cinéma ait jamais connues, mais on a tendance à négliger l’actrice, sa puissance d’incarnation, son débit mitraillette en dialecte napolitain, son coffre stupéfiant, ses invectives, sa fierté, son menton haut et sa nuque raide, son énergie « anna magnanienne », emportant la caméra dans son sillage, comme seuls les grands burlesques ou les acteurs du cinéma d’action sont théoriquement censés le faire.
Âge d’or italien
Dans La Vie devant soi, elle joue une survivante des camps de la mort, qui loge chez elle les gamins « nés de travers » de mères prostituées, comme elle dans sa jeunesse. Le film a été adapté de Romain Gary par son fils Edoardo, qui porte le nom de l’homme de sa vie, Carlo Ponti, un nom qui nous ramène à l’âge d’or italien, dont Sophia Loren aura été l’une des reines, triomphant dans ses deux courants les plus populaires : le néo-réalisme rose (des films sociaux optimistes, enchantés/enchanteurs, « capra-isés ») et la comédie italienne, qui n’avait pas vraiment besoin d’être drôle pour s’appeler comme ça, juste de ressembler à la vie et de raconter son pays.
Lorsqu’elle arrête de tourner comme elle respire, juste avant que ne débutent les années 80, Sophia Loren a 45 ans. Elle est au sommet, mais le cinéma italien lui- même semble incapable de se hisser jusqu’à elle. Alors, elle s’efface lentement. Huit films en tout depuis 1979, autant qu’au cours de la seule année 1954. Un choix assumé ? Elle fait semblant de répondre : « J’ai passé ma vie entière devant les caméras, je n’ai jamais “arrêté” consciemment. Simplement, parfois, je me suis consacré à ma famille, mes enfants, puis les enfants de mes enfants, et les années passaient. Mon mari n’était plus là [il est mort en 2007]. Le cinéma me manquait peut-être, mais je ne m’en rendais pas compte. » Serait-elle revenue, si le projet n’avait pas été porté par son propre fils ? « C’est avant tout une histoire magnifique, dans laquelle j’avais le sentiment de trouver des échos de ma vie, un cadeau inespéré que m’a fait Edoardo. Il y a un grand sentiment de sécurité à jouer devant lui, parce qu’il me connaît, il sait ce que je pense, il sait quand je ne suis pas d’accord, même si je me retiens de l’embarrasser devant toute l’équipe, comme l’envie m’en a pris quelques fois… »
À l’époque, dans les années 50-60, quand elle tournait jusqu’à dix films par an, des rôles de chapardeuse, de prostituée, de fille-mère, de poissonnière ou de femme de tête, avait-elle le sentiment d’incarner un sex-symbol ? Se vivait-elle comme une figure féministe ? Avait-elle l’ambition de… Là elle nous coupe, fini de rire. « Vous vous rendez compte du nombre de fois où vous dites “était”, “avait”, “faisait” dans vos questions, les unes après les autres ? C’est incroyable, ça. Tenez-vous-le pour dit : je n’étais pas, je SUIS ! » Dans le film de son fils, en effet, elle est. La même que toujours, bulldozer physique, moulin à paroles, irrésistible force de vie. Ouf, elle rit à nouveau. L’interview promo peut se terminer en douceur, l’interview carrière n’aura pas lieu. La reine Loren a mené ça tambour battant, à la baguette, refusant systématiquement de partir sur les chemins du souvenir pour ne rire qu’au présent – et peut-être au futur. La vie devant soi.
L’Or de Naples, un témoignage de la vie napolitaine par Vittorio de Sica
Commentaires