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DR Denis Guignebourg

Abel Jafri : de Mel Gibson à Timbuktu, portrait d'un artiste international

Abel Jafri pose lors de '"L'Escapade des stars", organisée par Martine et Xavier Vidal au Radisson Blu Palace Resort & Thalasso, à Djerba, en avril 2015.

Il est né à Tunis, mais a grandi en France, en Saône-et-Loire dès l'âge de six mois, avant de passer son adolescence à Aubervilliers, parmi les enfants d'immigrés tunisiens, portugais, ou algériens.Abel Jafri symbolise ce melting-pot, ce mélange des cultures, cette curiosité et cet amour de l'autre, et incarne avec d'autres cette génération qui a réussi à percer, à force de respect, d'envie et de talent. De l'envie et du talent qui en font aujourd'hui l'un des acteurs français très demandés des deux côtés de l'Atlantique, tout comme des deux côtés de la Méditerranée.Rencontré au milieu du mois d'avril dans son pays natal, dans le cadre du Radisson Blu Palace & Thalasso de Djerba où il s'est rendu autant pour se ressourcer (avant d'attaquer le tournage du prochain film de Rachid Bouchareb) que pour soutenir ce pays, victime récente du terrorisme qui voit son tourisme - la plus grande source de revenus de la Tunisie - pâtir violemment de ces tristes événements.Pour manifester sa fraternité avec les terres de ses ancêtres, l'acteur français n'a donc pas hésité à chambouler son emploi du temps pour être présent en ces temps difficiles pour le pays.Lors de cette rencontre, Abel Jafri est longuement revenu sur ce besoin vital d'être présent et de soutenir la Tunisie et son tourisme - une campagne avec des personnalités tenant des pancartes "#Tunisie, moi j'y vais" a même été lancée en France -, mais le brillant acteur a également évoqué son parcours cinématographique singulier.Ainsi, il se souvient, l’œil encore pétillant et le sourire au coin des lèvres, de son casting à Rome pour La Passion du Christ de Mel Gibson. Un film difficile pour lequel il a fallu apprendre l'araméen, et dans lequel il incarne l'un des bourreaux de Jésus - incarné par Jim Caviezel dans le film de Gibson."Après mes essais qui se sont déroulés dans un studio de Rome, j'étais à l'aéroport pour prendre mon avion du retour, et j'ai reçu un appel de la directrice de casting qui me disait que j'avais le rôle. Comme ça, en une seule rencontre avec Mel. Je n'en croyais pas mes oreilles. A ce moment-là, c'était le rôle le plus important, mais paradoxalement le plus facile à décrocher de ma carrière. Et c'était pour le film de Mel Gibson !" Un enthousiasme compréhensible pour le comédien qui s'en alla donc tourner plusieurs mois devant la caméra du réalisateur oscarisé pour Braveheart, avec le triomphe que l'on connaît.En effet, pour 30 millions de dollars de budget, le film en rapporta près de 400 millions lors de son exploitation en salles, pour l'un des succès les plus rentables de l'histoire du cinéma : "Un carton énorme", conclut l'acteur.Celui qui a débuté en enchaînant de petits rôles dans des films à succès comme Nelly et Monsieur Arnaud, Les Rois Mages, ou 3 Zéros, a littéralement explosé l'année dernière en djihadiste amoureux et accro à la nicotine dans le formidable Timbuktu d'Abderrahmane Sissako.Abel se souvient de la présentation cannoise du film, en mai 2014 : "On a monté les marches le premier jour de la compétition, je crois même qu'on était le premier film à être projeté. C'est une impression extraordinaire", nous confie-t-il, le regard bienveillant et encore brillant. "Avoir participé à ce film, avec un homme et un réalisateur comme Abderrahmane, on ne peut pas rêver mieux quand on est acteur. L'accueil à Cannes a été exceptionnel. On a eu une standing-ovation pendant vingt minutes, les spectateurs pleuraient, même des grands professionnels du cinéma étaient bouleversés. Ce film qui dénonce a vraiment marqué le festival l'année dernière, il a fédéré beaucoup de monde. Après la projection, on nous prédisait déjà la Palme d'Or ! Alors qu'on était que le premier film projeté !"Mais un premier film qui aura marqué la 67e édition du festival : "De jour en jour, les autres œuvres étaient projetés, et même si de très beaux films étaient présentés, aucun ne balayait le souvenir de Timbuktu dans l'esprit des festivaliers, le buzz autour du film continuait, tout le monde en parlait, surtout les professionnels qui ont adoré le film, si bien que plus on se rapprochait de la fin de la Quinzaine, plus on pensait au palmarès. Le dernier jour on est donc revenu pour la cérémonie de clôture, et on est reparti bredouille. Mais on a relativisé : Timbuktu a été la Palme du cœur, celle des spectateurs, c'est le plus important au final. Il a créé quelque chose d'unique, quelque chose se poursuit encore aujourd'hui."En effet, le chef-d’œuvre d'Abderrahamane Sissako a été plébiscité par le public - il a dépassé le million d'entrées en France -, et il a surtout été honoré et adoubé par les professionnels qui lui ont décerné pas moins de sept César lors de la dernière cérémonie, en février dernier : "On a tout gagné lors de cette soirée, tout. Le 7 janvier était malheureusement passé par là et les gens se sont encore plus rendus compte de la puissance et de la nécessité du film d'Abderrahmane. Ce fut une superbe soirée, surtout après le palmarès cannois et le petit goût de déception qu'il avait laissé, on a tout gagné : meilleur film, réalisateur, photo. Tout."Et la vie du film continue même aujourd'hui, il poursuit sa route dans des festivals internationaux en remportant des prix à chaque fois. Récemment, il s'est vu remettre le Globe de Cristal du meilleur film de l'année et vient de sortir en DVD, Blu-Ray et VOD pour une énième vie qui va permettre à de nouveaux spectateurs de le découvrir.L'après-Timbuktu est tout aussi passionnant pour l'acteur qui enchaîne les projets. On le retrouvera ainsi prochainement à l'affiche de Voyoucratie, une histoire de petits voyous, un road movie urbain dans lequel il incarne une sorte de parrain : "Mais attention, pas un parrain à la Brando ou à la Pacino dans Scarface. C'est juste un petit truand, un petit caïd, qui défend son petit territoire. Et il voit une jeune génération arriver, symbolisée par le personnage de Salim Kechiouche, et à partir de là, ça va partir dans la violence. C'est un jeune duo de réalisateurs qui l'a conçu, ils s'appellent FGKO, ils sont bourrés de talent."Il y a aussi ce film mystérieux initié par la productrice de J.J. Abrams qu'il ira peut-être tourner entre les États-Unis et la France,, mais dont il ne souhaite pas en dévoiler plus. Pas comme ces prochains tournages imminents. Tout d'abord le premier film de Julien Rey, le monteur de Luc Besson (Adèle Blanc-Sec, The Lady, Malavita, Lucy), qui s'apprête à tourner Inertia : "Julien est très doué, très visuel. Il s'agit d'un film sur le monde de la danse urbaine et du rap. Ce sera une œuvre très formelle dans laquelle Julien jouera aussi."Ensuite, le nouveau film de Rachid Bouchareb (Indigènes), intitulé La route du lac, que Abel va tourner dans les prochains mois. "J'y incarne un flic turque, ce sera un très beau film que l'on va bientôt démarrer en Belgique."Encore un rôle différent, une autre nationalité, une autre vie pour celui qui souhaite plus que tout que "les comédiens issus de l'immigration sortent des rôles stéréotypés". Et à travers ses films et ses rôles, c'est bien le message qu'Abel Jafri tente d'envoyer aux générations. Un message d'amour.ML