Comment avez-vous travaillé avec Park Chan-Wook sachant qu’il ne parle pas anglais ?Lorsque je l’ai rencontré pour la première fois, il avait déjà une vision très forte de ce qu’il voulait. Il m’a fait comprendre qu’il voulait faire un film sur le mauvais sang qui se transmet dans la famille. Il soulevait beaucoup de questions, sur l’inné ou l’acquis, c’était fascinant. Mais je me suis quand même demandé comment il allait communiquer sur le plateau. Son talent n’était pas en question, ni sa capacité à placer la caméra, mais allait-il saisir les personnages et la fluidité de leur évolution ? En fait, ça s’est passé sans problème, grâce à son interprète qui était très clair et très rapide.Avez-vous vu la trilogie de la vengeance?J’avais vu Old boy, enfin la moitié. Ca m’avait horrifiée. J’étais en avion, Keith à mes côtés et il m’a vu sursauter et m’a demandé ce que je regardais. Je lui ai montré la séquence dentaire. C’est étonnant parce que Park est un homme doux, mais ses films sont tendus par des idées très fortes. Comme celui-ci : on croit à un film d’atmosphère, à combustion lente, alors que c’est un film sur la genèse du Mal.Le réalisateur ne cache pas les références à Hitchcock. Etait-ce très sensible pendant le tournage?Non. Je crois qu’il a son inspiration, mais il a aussi sa propre signature. Il a une façon unique de tourner. Il a son propre directeur de la photo, avec qui il entretient une relation très forte et suivie, comme c’est parfois le cas avec les très grands metteurs en scène. Tous deux parlent un même langage qui leur est propre, et qui leur permet de savoir très précisément comment cadrer et éclairer votre visage. Comme dans cette scène où je regarde Mia en lui disant « je veux voir la vie te déchirer ». Il tenait à la tourner en un seul plan, sans coupure.Avez-vous senti qu’il cherchait à accentuer votre ressemblance avec Mia ?Rien dans ce film n’arrive par hasard. Park a passé des heures dans la salle de montage, il réfléchit à tout, à chaque vêtement, à chaque bijou. Tout le contraire de Paperboy, où tout était improvisé. Lee me disait « trouve-toi un costume qui t’aille ». Il ne voulait être impliqué dans rien de tout ça. Il attendait de moi que je construise le personnage. C’est moi qui ai trouvé le costume et les chaussures. Avec Park, c’est l’inverse. Il veut choisir absolument chaque accessoire. Rien ne passe s’il ne l’approuve pas. Jusqu’aux couleurs. Chaque détail a une signification. Même les accents, la diction, ou le sens dans lequel je tournais la tête, il y faisait attention.Est-ce qu’il ne charge pas un peu ?Peut-être par moments, mais ce n’est pas à moi de juger. Dans un film comme celui-ci, je n’ai pas le rôle principal. Mais tout ce qu’il fait est particulier, et ça le rapproche un peu de Stanley (Kubrick). J’ai ressenti la même chose brièvement avec Fincher avant que je ne tombe malade sur Panic Room. David porte une grande attention au style, il pratique une esthétique non naturaliste, légèrement amplifiée, et c’est ce qui intéressait Stanley aussi.Kubrick vous disait à Tom Cruise et vous dans Eyes wide shut : « vous ressemblez tous les deux à des acteurs de composition (character actors) mais vous avez été engagés pour ça ». Comment vous sentez-vous dans un second rôle ?J’apprécie de plus en plus ce travail qui consiste à composer des personnages. C’était le cas dans Paperboy, comme dans Stoker. Grace of Monaco aussi, d’une certaine façon, même si elle a le premier rôle. Vous le comprendrez en voyant le film, mais Grace est un vrai personnage. C’est bien d’être la leading lady, mais les rôles les plus intéressants sont les personnages.Que raconte le film ?Ce n’est pas un biopic, qui se serait déroulé depuis son mariage jusqu’à sa mort. L’histoire correspond à une période de six mois dans sa vie et au cours de laquelle elle a cherché à retrouver son humanité derrière la façade de la princesse. Ca va être intéressant parce qu’Olivier (Dahan) est un réalisateur très visuel.Comment était Mia dans Stoker ?C’est une actrice magnifique. Je pense qu’elle peut gagner un oscar dans les décennies à venir. Sur le plateau, je l’ai vue lire et je lui ai demandé ce qu’elle lisait. C’était Tchekov. Enfin ! On ne voit pas ça souvent. La plupart des gens parlent au téléphone, échangent des textos ou surfent sur Internet. Je parle comme une vieille, mais c’est pourtant la vérité : il n’y a pas trente six façons de se construire en tant qu’acteur pour comprendre les personnages. C’est avec la littérature et le théâtre qu’on grandit.Des conseils pour elle ?Le même que celui que Jane Campion m’a donné quand j’avais 17 ans. Elle m’a dit : « tu dois protéger ton talent, c’est tout ce que tu as. »Votre personnage est-il déçu par sa fille ?Je ne la vois pas comme déçue, mais plutôt comme espérant que sa fille va l’aimer. J’ai demandé à Park parce que je n’étais pas sûre de nos relations, il m’a dit dès sa naissance, l’enfant a toujours pleuré aussitôt que sa mère la prenait dans ses bras. Elle était totalement connectée à son père mais pas du tout à sa mère. Elle aime chasser, c’est une prédatrice, et j’ai trouvé cette image très puissante. Il l’établit dès la première scène que nous avons : il est clair qu’India n’aime pas être touchée. C’est très refroidissant.Vous avez des nouvelles de Lars Von Trier ?J’ai failli faire Nymphomaniac, mais seulement dans un petit rôle. Je meurs d’envie de le voir. Je suis sûre que ça va être incroyable. Il va choquer le monde. Le script m’a heurtée un peu, mais d’une bonne façon. Je ne suis pas facilement choquable, car je ne réagis pas immédiatement en donnant un jugement hâtif. J’essaie de réfléchir et de comprendre le sens derrière les images. Si c’est juste pour le plaisir de choquer, ça ne m’intéresse pas, mais connaissant Lars, je sais qu’il y a une philosophie particulière derrière ce film, et je pense qu’il va beaucoup faire parler de lui.Vous avez évoqué « la seconde partie » de votre vie, en affirmant que vous étiez toujours curieuse. Quand commence cette seconde partie ?Probablement maintenant à partir de 40 ans. Peut-être que je me trompe et que ce sera seulement le dernier tiers, ou le dernier quart, mais j’espère durer encore quelques décennies. Généralement on dit qu’une actrice est finie à 40 ans. Quand vous voyez Emmanuelle Riva, vous comprenez que ce n’est pas vrai. Et c’est magnifique.Aujourd’hui, vous êtes heureuse ?Oui, dans la mesure où j’ai mes filles et mon mari, et que ma vraie vie est assez forte pour compenser la vie fantasmatique qui à une époque prenait largement le dessus. Interview Gérard DelormeBande annonce de Stoker de Park Chan-Wook, avec Mia Wasikowska, Nicole Kidman, Matthew Goode, demain dans les salles :
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