Passage réussi au cinéma pour Alan Yang, le co- scénariste de la série Parks & Recreation avec ce film fortement autobiographique
Dans les années 50, à Taïwan, Pin Jui rêvait d’Amérique, seul moyen à ses yeux de s’échapper de sa condition d’ouvrier, d’y faire venir un jour sa mère et de se trouver un avenir qui lui semble sinon fermé à double tour. Pour Pin Jui, le rêve est bien devenu réalité puis désillusions et cauchemar lancinant. Et parvenu dans la dernière ligne droite de son existence, ce tout jeune retraité d’un travail d’une monotonie usante, divorcé, solitaire, entretenant une relation distante avec sa fille, décide enfin de renouer avec son passé pour voir s’il peut y retrouver les pièces perdues du puzzle de son existence. Son pitch ne laisse aucun doute. Pour son premier long métrage comme réalisateur sur grand écran, Alan Yang, co- scénariste de la géniale série Parks & Recreation, a choisi le terrain du mélo. Et il raconte cette histoire d’une famille taïwanaise – largement inspirée par le destin de son propre père – avec une sensibilité pudique jamais prise en défaut.
Voilà quelques mois, sur le terrain similaire du déracinement entre Asie et Amérique, L’Adieu cartonnait dans les salles américaines et voyait même son interprète Awkwafina remporter un Golden Globe, malgré sa lourdeur formelle et sa BO dégoulinante qui symbolisait son incapacité à susciter l’émotion qu’elle ambitionnait. Tigertail pourrait se lire comme son parfait négatif qui, lui, touche juste côté émotion par sa retenue, ses silences et son attention permanente à ne jamais surligner les choses.
Par un jeu de flashbacks et flashforwards, Tigertail replonge donc dans l’existence de Pin Jui qui, tout à son rêve américain, préféra un mariage arrangé avec la fille du patron de l’usine où il bossait à son histoire d’amour avec une jeune femme aussi piquante que craquante qu’il ne prévint même pas de son départ précipité. Et cette intrigue, bien que centrée donc sur un personnage masculin, fait la part belle aux personnages féminins. Cette amour de jeunesse qu’il va chercher à retrouver la soixantaine venue, l’épouse timide et effacée qui va réussir à se construire une existence propre qu’il lui nie – comme s’il lui faisait payer sa propre décision d’avoir renoncé à celle qu’il aimait pour un Eldorado devenu prison – et sa fille qu’il est incapable d’entourer d’attention et d’empathie. A chaque fois, dans Tigertail, ce sont ces femmes qui provoquent la libération de la parole, qui crèvent l’abcès des non- dits et qui, en prenant en main leurs vies, vont remettre Pin Jui dans le droit fil de la sienne et lui permettre de renouer avec celui qu’il était au plus profond de lui.
L’histoire pourrait paraître cousu de fil blanc et elle l’est d’une certaine manière. Mais jamais Alan Yang n’appuie les choses, pas plus qu'il ne change artificiellement de braquet dans le rythme de son récit. Il réussit chaque scène de retrouvailles – réelles ou symboliques – en trouvant le bon ton car jamais embarrassé par l’émotion qu’il a envie de susciter. La sincérité de son propos fait mouche. Une jolie réussite.
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