Rencontre avec le réalisateur du beau Là-haut perchés, tourné dans les Alpes et sorti mercredi dernier.
Dans Là-haut perchés (sorti mercredi dernier en salles), Raphaël Mathié est parti filmer la vie des habitants de Chasteuil, un village perdu dans les Alpes. Mais le film est loin d'un documentaire banal sur la ruralité : le réalisateur suit des survivants (post-soixante-huitards ou vétérans de guerre) dans une ambiance de mystère et de légendes, tandis que le monde extérieur enchaîne les crises comme celle des Gilets jaunes et de la pandémie... Solidement filmé, envoûtant, Là-haut perchés n'est décidément pas comme les autres. Son réalisateur, venu du journalisme, nous raconte comment et pourquoi il tente le plus possible de s'éloigner du documentaire.
Ce n'est pas un documentaire
"Je déteste le terme de documentaire : je sais pas ce que ça veut dire. Je travaille le réel. Je mélange avec de la fiction. C'est important. Ce qui est génial avec le réel -plus facile de lever des fonds en disant que tu fais un documentaire, après tu fais ce que tu veux... Ça donne de la créativité, le film évolue au fur et à mesure -les choses se cristallisent. On suit des pistes, certaines s'effondrent d'autres apparaissent. Les gens me vident leurs vies sur mes épaules : ça ne m'intéresse pas tant que ça, mais c'est une condition pour pouvoir poser sa caméra. Je n'ai pas travaillé pas la caméra à la main, mais surtout fixée sur pied, afin d'avoir un vrai cadre. Et aussi de suivre le rythme géologique des habitants... Un homme qui vit sur un plateau calcaire n'est pas le même que celui sur un plateau granitique : ça le façonne, ça le modèle."
Les loups ont sauvé le film
"Le film est vraiment mis en scène : par exemple, j'ai trouvé des vieux films dans les archives des habitants, et j'ai décidé de leur projeter et de les filmer pendant cette projection. Il faudrait parler de cinéma tout court -pas de documentaire, il y a une grosse confusion, à mon avis... Au départ, quand on a commencé à tourner en 2019, j'ai eu peur : où trouver de la dramatugie à Chaeuil ? Est-ce que je ne vais pas me dissoudre dans une chronique rurale insipide ? Et puis les loups sont arrivés, ça a créé du suspense, on ne savait pas où ça allait nous emmener. Dans la mythologie nordique ce sont eux qui achèvent le cycle du monde. Et là le Covid arrive dans le film, le souvenir de la météorite, et les loups qui disparaissent..."
Créer du mythe (et des beaux plans)
"Mon premier montage faisait 2h30 : je ne tourne pas beaucoup, je ne filme pas pour accumuleur une tonne de matériel et tailler dedans après. J'essaie d'être à l'os, de suivre mon instinct, mais d'avoir quand même une belle esquisse. Ici, la caméra ne devait pas courir derrière le sujet. J'ouvre le film sur un enterrement, j'ai capté la naissance d'un arc-en-ciel dans les montagnes, et à la fin, j'ai choisi de changer littéralement le format de projection, et d'utiliser des artifices comme une nuit américaine et une musique quasiment hollywoodienne. J'aime tourner des beaux plans, ça vient peut-être de mon rapport à la nature, je viens d'un milieu populaire, forestier. Le cinéma est là pour créer du mythe. J'adore les films de superhéros, je vais voir The Batman le plus rapidement possible... "
Son prochain film est un road movie
"Je travaille sur deux films : une fiction sur la question amoureuse, le miracle, la résurrection, une histoire d'amour impossible... Mais avant je veux tourner un film plus urgent, politique, sur la nationale 4. Je viens des Vosges du Nord, c'est une espèce de Dakota du Nord déglingué, à la française. Et je prends souvent cette nationale 4. Je veux y tourner l'histoire d'un écrivain qui veut dresser un portrait de la Nationale 4, il va à la rencontre des gens, il tombe en panne et il rejoint Strasbourg pendant la gabegie commerciale des marchés de Noël... J'ai envie d'emmener mon film à la fin sur un putain de banc de cette putaun de place Gutenberg de cette putain de ville bourgeoise... Et s'arrêter sur le manège en bois qui tourne, la nuit. Voilà, c'est urgent, j'en ai besoin, je veux travailler le road movie. Je n'ai pas envie de faire un film à la Rufin, je veux pas juste filmer, je veux faire de la mise en scène. On tourne entre septembre et décembre prochains si tout va bien."
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