Toutes les critiques de Les choses qu'on dit, les choses qu'on fait

Les critiques de Première

  1. Première
    par Thierry Chèze

    C’est en 1999 qu’on a découvert en salles le travail d’Emmanuel Mouret. Tout juste diplômé de la Fémis, son film de fin d’études, Promène-toi donc tout nu !, connaît en effet les honneurs du grand écran. Il y joue lui-même un jeune homme soumis à un ultimatum (24 heures pour décider s’il vit ou non avec sa copine) et à qui sa meilleure amie propose de jouer à être sa petite amie pendant cette journée pour lui prouver que toutes les filles se valent. Promène-toi donc tout nu ! est salué chaleureusement par la critique, louant la drôlerie et la légèreté de ce divertimento romanesque en diable. Mais on ne se doute pas alors que le cinéma de Mouret est tout entier contenu dans ces 50 minutes. Son goût du marivaudage, le rapport à la langue, son rythme en apparence nonchalant et pourtant jamais lâche et cette douceur enveloppante qui cache une cruauté aussi savoureuse qu’imparable. Vingt ans donc pour en arriver à ce Les choses qu’ont dit, les choses qu’on fait, son film le plus réussi, le plus fluide, le plus léger, le plus profond et le plus brillant. Comme l’aboutissement d’un parcours où, au fil de ses neuf longs métrages précédents, il a su patiemment se défaire de l’étiquette réductrice de cinéaste rohmérien que ses pourfendeurs prenaient un malin plaisir à lui accoler pour suggérer en creux qu’il ne serait jamais à la hauteur de l’homme des Contes et Proverbes. Sauf que parler du sentiment amoureux et plonger dans les arcanes du marivaudage n’est pas l’apanage d’un seul et unique metteur en scène, aussi brillant soit-il. S’y confronter raconte même un geste très audacieux. Celui de faire naître sa propre grammaire et sa propre langue dans un univers quasi sclérosé à force d’être associé à un langage, une diction et une atmosphère reconnaissable dès sa première image. Les choses qu’ont dit, les choses qu’on fait parachève ce geste. Dans lequel, si son cinéma se nourrit certes de références (aussi bien Truffaut et Woody Allen que Rohmer), il résonne surtout pleinement de sa propre singularité au fil des chassés-croisés amoureux qui le composent. On y suit ainsi Daphné, enceinte de trois mois, qui accueille dans sa maison de vacances Maxime, le cousin de son compagnon François qui a dû s’absenter pour son travail. Daphné et Maxime ne se sont jamais rencontrés. Et, d’abord un peu intimidés, ils vont faire connaissance et assez vite se livrer au petit jeu des récits intimes sur leurs histoires d’amour d’hier et d’aujourd’hui.

    CICATRICES INDÉLÉBILES
    Commence alors un récit en flash-back et flash-forward d’une fluidité jamais prise en défaut. Chaque histoire, chaque coup de foudre, chaque attirance pour un ou une autre que l’être aimé(e), chaque souffrance, chaque rupture y sont racontés, développés, partagés avec un art du rebondissement et de ne rien y laisser paraître. Les dialogues brillants de Mouret et sa mise en scène incroyablement délicate font écho à la retenue de ses comédiens. Chez lui, quasiment aucune trace de ces engueulades éruptives qui donnent un grand coup de balai à une histoire d’amour pour mieux aborder la suivante. Les histoires d’amour sont comme des cicatrices qui ne s’effacent jamais et construisent les couples à venir. La violence et la douleur ressenties sont d’autant plus fortes que ses personnages refusent l’affrontement. Pas par lâcheté mais par éducation, parce qu’ils ont été habitués à lutter contre la violence de leurs désirs pour ne pas (trop) abîmer l’autre. Sans réaliser que ce faisant, la cruauté peut en être que plus insoutenable.

    RETENUE ET INTENSITÉ
    Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait est un grand film sur les désirs inconciliables de nos vies, symbolisés par le fil rouge de son récit : peut-on désirer le cousin de son compagnon et rester quelqu’un de bien ? Tout y est à la fois extrêmement naturel et écrit avec un sens littéraire imparable. Ces mots et ces situations, chacun de ses interprètes les dévore et les savoure avec un plaisir contagieux. Des interprètes qui traduisent l’absence de tout esprit de chapelle chez Mouret. Sa famille de cinéma ne ferme la porte à aucune autre, de Camélia Jordana  à Niels Schneider en passant par Vincent Macaigne, Émilie Dequenne, Guillaume Gouix, Jenna Thiam ou Julia Piaton. Avec un point commun entre tous : on ne les a jamais entendus parler comme ça. Avec ce mélange de retenue et d’intensité qui font la puissance tranquille et la saveur gourmande du « Mouret Cinematic Universe ». Aujourd’hui comme hier. Aujourd’hui encore plus qu’hier.