Toutes les critiques de Les Veuves

Les critiques de Première

  1. Première
    par Guillaume Bonnet

    Il s’en était bien tiré jusque-là. Hunger sur Bobby Sands, l’IRA et les grèves de la faim. Shame sur l’addiction au sexe, New York, les traumas d’enfance. Et puis 12 Years a Slave est venu tout flanquer par terre, transformant presque malgré lui Steve McQueen en cinéaste black, pire, en porte-parole. Il a été attaqué pour ça (de quel droit lui, Anglais, même noir, pouvait-il s’attaquer à l’esclavage aux USA ?), il a été célébré pour ça (Oscar du meilleur film en 2014, à l’émotion). Il s’est surtout retrouvé menacé d’être réduit à ça. Five years a slave de ce nouveau statut, Steve McQueen change son fouet d’épaule, pour livrer un « petit » film de casse à Chicago, moins ambitieux, moins exposé, moins politique. C’est en tout cas la première impression, si on le regarde de loin : une adaptation de série anglaise, polar high concept (un gang de veuves de braqueurs) et même à twist (les apparences sont ce qu’elles sont : des apparences). Presque un produit de série, avec méchant(s), gunfights, cascades de voitures et explosions. McQueen saurait-il faire ? Oui. Voudra-t- il le faire ? La réponse (non) est dans la question.

    ESPRIT DE CONTRADICTION
    L’interview qu’il a donnée à Première le rappelle : Steve McQueen a l’esprit de contradiction. Il n’est pas d’accord avec vous. Il n’était pas d’accord pour refaire un film sur les Afro-Américains, il n’est pas d’accord non plus pour ne pas le refaire. Il choisit donc de confier le rôle de Mrs. Rawlings, héroïne blanche des Veuves de la série télé, à Viola Davies, mais en prenant soin de conserver la couleur de peau de son mari joué par Liam Neeson (blanc, mais pas comme neige). Un pas de côté qui transforme déjà le polar straight en commentaire de société, très (trop ?) conscient de ses effets. Si on le lui disait (on le lui a dit), Steve McQueen affirmerait que c’est nous qui avons l’esprit mal placé, et que nous ferions mieux de nous interroger sur notre regard, plutôt que d’examiner le sien. Ne surtout pas l’écouter : tout dans les Veuves est « pensant ». Chaque détail est un commentaire politique. Ou sociologique. Ou racial. Ou genré. Ou tout cela à la fois. Les quatre membres du gang incarnent autant de façons d’être femmes, épouses, victimes (battues, spoliées, manipulées, filles mères), toutes définies par leur statut de classe, y compris Viola, femme de notable blanc richissime, faisant mine de ne pas savoir que dans le Chicago péri-urbain que le film décrit, « notable blanc richissime » signifie forcément « criminel » quelque part.

    CARREFOUR
    La scénariste Gillian Flynn (celle de Gone Girl et Sharp Objects) est un peu à la question des femmes ce que Steve McQueen est à la question black : un symbole contrariant, cible de certaines féministes radicales qui lui reprochent de ne pas se contenter de raconter l’oppression des femmes par la société patriarcale, mais de décrire une aliénation venant des femmes elles-mêmes, voire des femmes entre elles. Sous la double influence des obsessions idéologiques de ses deux super auteurs/signatures qui jouent à chaque sortie une part de leur statut, Les Veuves devient une œuvre carrefour (intersectionnelle) où rien n’est innocent. Scène après scène, la mécanique se dérègle, il n’y a plus de polar qui tienne, juste une dialectique implacable sur les phénomènes de classe, le déterminisme, la difficulté (nécessité) de s’en libérer. Les gens que l’on tue sont peut-être des fantômes, en tout cas des symboles d’oppression qu’il faut éliminer. Le premier degré s’efface, la mise en scène prend ses distances, ou de la hauteur, sans doute trop de virages et de pincettes. Le petit polar droit au but, Steve McQueen aurait pu et su le faire, aucun doute là-dessus. Mais voilà : il n’était pas d’accord.