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Dans le cinéma de Philippe Garrel, quelque chose échappe au temps qui passe. Le noir et blanc sur celluloïd détache le réel des impératifs de son décor. Le Paris Nouvelle Vague résiste aux assauts du contemporain. Les portes des appartements, les rampes d’escalier, les entrées d’immeuble, les bouts de zinc n’ont pas bougé. Chaque plan, dépouillé du superflu, semble, comme chez Bresson, arraché au monde. Auteur romantique – assurément le plus grand en activité –, Garrel interroge les âmes, sonde les rapports entre les êtres, questionne le sentiment amoureux. Ici, débarque de sa province Luc, pour passer un examen (les personnages chez Garrel sont toujours en devenir). Il rencontre Djemila à un arrêt de bus. Ils se suivent, s’aiment. Luc retourne d’où il vient. Puis il y aura Geneviève et Betsy. Luc n’est pas spécialement volage, il est indécis avec un cœur d’artichaut. Lâche aussi. En périphérie, il y a aussi le père, un ébéniste que l’on découvre polissant un cercueil (« Je suis le dernier à faire ça ! »). Bientôt, celui-ci occupera le centre et même tout le cadre le temps d’un gros plan émouvant que l’on ne sait pas encore prémonitoire (André Wilms a la lourde charge de « remplacer » Maurice Garrel ; il est formidable). Le Sel des larmes arrive après L’Ombre des femmes et L’Amant d’un jour. Les titres se suffiraient presque à eux-mêmes. On pourrait les permuter. Une chose est sûre, ils ne mentent pas. C’est peu dire que ce cinéma-là – et ce film en particulier – est d’une puissance foudroyante. On pourra dire qu’en 2020, les images avaient le goût de ces larmes.