Ce qu’il faut voir en salles.
L’ÉVÉNEMENT
THE BATMAN ★★★☆☆
De Matt Reeves
L’essentiel
Une réussite esthétique indéniable, mais un scénario qui peine à se hisser au même niveau.
Après avoir tenté de mêler Batman au reste de la populace super-héroïque (Batman V Superman et Justice League), Warner Bros. revient à la formule initiale de l’encapé solo, dix ans déjà après The Dark Knight Rises. Objectif table rase : exit le carnaval burtonien, la solennité bondienne des Batman de Nolan ou l’inquiétude viriliste de Zack Snyder. Il s’agit ici de désosser l’icône pour n’en garder que l’essence et lui redonner sa licence de détective surdoué dont le cinéma l’a toujours privé.
On fait donc connaissance avec un Batman bleu bite (Robert Pattinson), en fonction depuis seulement deux ans. Vingt-quatre mois à arpenter les rues de Gotham la nuit pour chasser le spleen de la mort de ses parents et à s’incruster sur les scènes de crime de son seule pote, le lieutenant James Gordon. La vengeance personnifiée se retrouve à enquêter sur un tueur en série qui élimine un par un les puissants de Gotham. Et sur chaque lieu de meurtre, le mystérieux Riddler laisse des indices destinés à Batman…
Construit comme un film noir lo-fi et grandiloquent à la fois, The Batman épate d’abord par sa vision de Gotham, plus vivante que jamais. La direction artistique impeccable donne naissance à une vraie ville, criarde et malfamée, dont la « réalité » ne peut être remise en doute. Robert Pattinson y évolue comme une évidence, trouve sa propre voie sans plagier ses prédécesseurs. Un Batman sublimé par le directeur de la photo, Greig Fraser (Dune).
Une vision racée qui ne tient malheureusement plus tout à fait quand le scénario rentre dans le dur : la noirceur évoquée en interviews semble amoindrie malgré la brutalité des scènes d’action, et la promesse d’un Dark Knight torturé n’est pas tenue. D'ailleurs, plus que dans ses démonstrations de force ou son entêtement à ne jamais ressembler à ce qui l’a précédé, c’est quand il se décide enfin à montrer l’agitation intérieure de son héros au lieu de la théoriser que The Batman est à son meilleur.
François Léger
Lire la critique en intégralitéPREMIÈRE A BEAUCOUP AIME
LA- HAUT PERCHES ★★★★☆
De Raphaël Mathié
De longues séquences de vie montagnarde entrecoupées par les enterrements des anciens : bon, d’accord, à première vue Là-haut perchés ne respire pas la pure joie de vivre, mais au fur et à mesure le documentaire déploie une ambiance impressionnante. Nous sommes à Chasteuil, dans les Alpes-de-Haute-Provence, lieu de vie d’ex-soixante-huitards et de survivants de la guerre, dans une ambiance de post-fin du monde qui évoque un peu le final de The Leftovers. Et on n’est pas prêt d’oublier certains plans (un arc-en-ciel naissant dans les rochers, les anciens réunis autour de la projection de leurs vieux films de jeunesse en Super 8…) ni cette séquence affolante où l’on voit à la télé les images du monde extérieur, où explose la pandémie, alors que dehors, la montagne est bien paisible.
Sylvestre Picard
PREMIÈRE A AIME
RIEN A FOUTRE ★★★☆☆
De Julie Lecoustre et Emmanuel Marre
Cassandre, 26 ans, hôtesse de l'air dans une compagnie low-cost, vit au jour le jour au rythme des vols, des escales, des sourires forcés aux passagers, des cuites en boîtes de nuit et des rendez-vous Tinder d’un soir. Un quotidien sans passé et sans lendemain, une fuite en avant perpétuelle qui ressemble à s’y méprendre à une anesthésie générale. Rien à foutre, donc. Très beau titre de film pour ce premier long. Depuis les coulisses pas très réjouissantes de l'aviation à bas coûts, le duo Julie Lecoustre - Emmanuel Marre dresse un portrait générationnel drôle et mélancolique, construit sur une réalisation à la frontière du documentaire. Procédé efficace qui rend justice au travail impressionnant d’Adèle Exarchopoulos, comme plongée dans son monde intérieur, incarnant en sourdine le bouillonnement d’une crise existentielle. Le film aurait pu (dû ?) en rester là, mais la jeune femme sera bientôt rattrapée par la patrouille dans une deuxième partie beaucoup plus convenue, où un traumatisme originel dont on se serait volontiers passé est dévoilé. Mais le plan final solaire rattrape aisément ces quelques erreurs de parcours.
François Léger
Lire la critique en intégralitéALI & AVA ★★★☆☆
De Clio Barnard
Elle s’appelle Ava. Veuve d’origine irlandaise à la tête d’une famille éparpillée, refaire sa vie semble loin de ses préoccupations. Il s’appelle Ali. Jeune chauffeur de taxi d’origine pakistanaise, il n’arrive pas, lui, à avouer à sa famille que sa femme le quitte. Bien qu’habitant la même ville de Bradford, ils n’avaient aucune raison de se rencontrer et encore moins de s’aimer. Et pourtant… Avec Ali & Ava, Clio Barnard (Le Géant égoïste) réussit le mélange parfait entre comédie romantique et film social à travers une histoire d’amour vécue envers et contre tout, à commencer par la différence d’âge, de religion et de race qui leur vaut des réactions violentes d’une partie de leur entourage. Elle s’empare de ces questions sociétales avec une bienveillance flamboyante, dénuée de sensiblerie. Un beau film au sens le plus noble du terme et un duo d’acteurs irrésistible : Adeel Akhtar- Claire Rushbrook
Thierry Cheze
Lire la critique en intégralitéROBUSTE ★★★☆☆
De Constance Meyer
« Le cinéma ça rend con », dit Gérard Depardieu dans Robuste, comme s’il se parlait à lui-même. Une bonne partie du film est du même tonneau : une réflexion méta et souvent drôle sur l’acteur. L’histoire d’un ogre appelé ici Georges, star de cinéma aigrie, dont le garde du corps/nounou doit s'absenter durant plusieurs semaines. Aïssa (Déborah Lukumuena, Césarisée pour Divines) prend la relève. Robuste raconte donc la rencontre de ces deux corps massifs aux fêlures pas si éloignées. Si le chemin est balisé, Constancer Meyer (pour son premier long) prend du recul pour se mettre en position d’observatrice, avec un regard doux et tendre. Lukumuena, solide, renvoie aisément la balle à Depardieu. L’attraction principale du film trouve pourtant ici son meilleur rôle depuis des années : plus sensible que robuste, finalement.
François Léger
KOMBINAT ★★★☆☆
De Gabriel Tejedor
Bienvenue dans la ville minière de Magnitogorsk doté d’un des plus importants sites sidérurgiques de Russie. C’est là que le réalisateur suisse Gabriel Tejedor a posé sa caméra après avoir entendu dire que l’endroit ressemblait à « un décor de Mad Max. » Dans ce documentaire, on suit une poignée de trentenaires, hommes et femmes, vivant plus ou moins directement du complexe (Kombinat) métallurgique. A l’ombre des usines, les espoirs font comme le reste, ils se laissent ensevelir. En se concentrant sur ses protagonistes, Gabriel Tejedor parvient toutefois à saisir une humanité voire une vitalité possible. C’est un soleil qui perce à l’horizon, un pique-nique dans une datcha, un cours de danse où chacun oublie ses inhibitions… Bientôt, toute la ville se retrouvera dans un zénith plein à craquer, pour célébrer la vitalité du Kombinat.
Thomas Baurez
Retrouvez ces films près de chez vous grâce à Première GoPREMIÈRE A MOYENNEMENT AIME
VIENS JE T’EMMENE ★★☆☆☆
De Alain Guiraudie
Médéric, un bobo trentenaire de Clermont-Ferrand, tombe fou amoureux d’une prostituée quinquagénaire, Isadora. Après qu’un attentat a frappé la ville, la vie du jeune homme va être compliquée par ses rencontres avec un sans-abri suspecté de terrorisme, une collègue envahissante, des voisins de palier tiraillés entre l’envie de tendre la main et celle de se barricader… L’Aveyronnais Alain Guiraudie est allé chercher dans le Puy-de-Dôme le décor de cette comédie boulevardière et politique, un tableau de la France contemporaine naviguant entre l’angoisse et la rigolade, la flippe et la fantaisie. L’écriture du film, hautement funambule, enchaîne d’abord les séquences selon une séduisante logique surréaliste. Trop vite, pourtant, cette volonté de délirer le réel est alourdie par la tentation d’un discours « raisonné » sur les maux du pays. Guiraudie apparaît en effet peu inspiré quand il détaille le petit cirque politico-médiatique qui circonscrit nos imaginaires, tombant alors lui-même dans le piège des sociotypes. Prédomine à l’arrivée la sensation que le cinéaste emprisonne ses personnages plus qu’il ne les libère.
Frédéric Foubert
PREMIÈRE N’A PAS AIME
BELFAST ★☆☆☆☆
De Kenneth Branagh
Nous sommes en 1969, à Belfast donc. Buddy a 9 ans, et grandit entre sa mère, son frère aîné et ses grands-parents adorés. Son père travaille en Angleterre et est très souvent absent. Quand le film commence, les tensions entre catholiques et protestants s’embrasent. Lorsque les orangistes tentent de recruter le père de Buddy, ce dernier refuse et devient une cible potentielle… L’enfance de Buddy est bouleversée, mais le garçon va se réfugier dans l’imaginaire et les salles de spectacle.
Dès les premières images, c’est clair : au-delà de la simple chronique autobiographique, Belfast se lit comme le retour d’un cinéaste aux sources de sa vocation. Branagh entend explorer cette zone indécise entre l'Histoire (de l’Irlande) et son histoire (intime), mélange l’universel et le personnel. Un voyage pour retrouver son identité, et pourquoi pas, son mojo. Car ce que raconte Branagh c’est que le conflit irlandais fut le puissant moteur de son imaginaire. Mais au bout de quelques scènes, on se pose donc la question : pourquoi est-ce que, des décors aux acteurs en passant par la photo et les dialogues, tout cela sonne aussi faux ? La mise en scène d’abord, avec son noir et blanc soyeux qui ressemble au look des vieilles photos Harcourt. Les personnages, réduits à un accessoire. Et puis ce mélange d’opportunisme et de rêverie facile qui finit de couler le projet. Mais le pire reste peut-être son absence de point de vue sur les Troubles. On dira que l’expérience de l’adolescence est filtrée à travers l’insouciance de la jeunesse, que tout est vu à hauteur d’enfant. Mais c’est un enfant sage, dépourvu de folie ou de réelle imagination. On touche à ce qui caractérise les oeuvres de Branagh depuis quelques années. Même quand le sujet l’intéresse, le résultat n’est jamais véritablement incarné.
Gaël Golhen
Lire la critique en inégralitéEt aussi
Down in Paris, de Antony Hickling
Porte de Vincennes, de Claude Chamis
Reprises
La Lettre inachevée, de Mikhaïl Kalatozov
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