« Plus ne soupirez mes belles, plus ne soupirez... Les hommes furent toujours volages » peut-on lire dans Beaucoup de bruit pour rien. Fut un temps où le nom de Branagh était synonyme de grands films shakespeariens. C’était le Laurence Olivier des nineties, un surdoué du théâtre britannique et du cinéma qui signait des films en costume fastes et séduisants. Tout le monde l’aimait. Pourtant, Branagh a fini par tromper Shakespeare pour succomber aux sirènes d’Hollywood, devenant un artisan anonyme, accolant son nom devant des Marveleries, des remakes Disney ou des thrillers sans âmes. Son talent semblait s’être définitivement dissout. Jusqu’à ce que les critiques américaines et les rumeurs d’Oscars s’emparent de ce Belfast.
Nous sommes en 1969, à Belfast donc. Buddy a 9 ans, et grandit entre sa mère, son frère aîné et ses grands-parents adorés. Son père travaille en Angleterre et est très souvent absent. Quand le film commence, les tensions entre catholiques et protestants s’embrasent. Lorsque les orangistes tentent de recruter le père de Buddy, ce dernier refuse et devient une cible potentielle… L’enfance de Buddy est bouleversée, mais le garçon va se réfugier dans l’imaginaire et les salles de spectacle.
Dès les premières images (un prologue façon clip touristique pour Belfast), c’est clair : au-delà de la simple chronique autobiographique, Belfast se lit comme le retour d’un cinéaste aux sources de sa vocation. Branagh entend explorer cette zone indécise entre l'Histoire (de l’Irlande) et son histoire (intime), mélange l’universel et le personnel. Un voyage pour retrouver son identité, et pourquoi pas, son mojo. Depuis quelques années, ce genre de projet introspectif - les films « memory lane » - est devenu un cliché du cinéma d’auteur contemporain. Dans le genre, Branagh ne fait pas les choses à moitié. Tout est là : le noir et blanc de Roma, la déclaration d’amour au cinéma façon Sorrentino, l’évocation d’un Shangri-la sur le point de s’évanouir comme chez Tarantino… Mais c’est pourtant à un film plus ancien qu’on pense constamment. Belfast fonctionne comme le Hope and Glory de Boorman. Ce que raconte Branagh c’est que le conflit irlandais (comme la guerre pour Boorman) fut le puissant moteur de son imaginaire. Dans une ville rongée par la violence, tout – les quartiers rendus inhabitables par les attentats, des foyers dirigés par les femmes en l’absence des hommes – était prétexte au jeu, à la fantasmagorie et à l’évasion. Au bout de quelques scènes, on se pose donc la question : pourquoi est-ce que, des décors aux acteurs en passant par la photo et les dialogues, tout cela sonne aussi faux ? La mise en scène d’abord, avec son noir et blanc soyeux qui ressemble au look des vieilles photos Harcourt. Les personnages, réduits à un accessoire (les lunettes sécu de Judi Dench) ou un accent. Rien ni personne n’existe jamais vraiment dans ce film. Et puis il y a ce mélange d’opportunisme et de rêverie facile qui finit de couler le projet. Belfast serait là pour éclairer la filmographie de Branagh : sa fascination pour les comics (il lit Thor sur un trottoir), sa découverte de Shakespeare avec sa grand-mère (seule scène en couleur, tellement boursouflée), ses premières expériences du cinéma (avec sa famille qui vibre devant Chitty Chitty Bang Bang comme s’ils voyaient pour la première fois une image animée). Le pire reste peut-être son absence de point de vue sur les Troubles. On dira que l’expérience de l’adolescence est filtrée à travers l’insouciance de la jeunesse, que tout est vu à hauteur d’enfant. Mais c’est un enfant sage, dépourvu de folie ou de réelle imagination (contrairement au Boorman). On touche à ce qui caractérise les oeuvres de Branagh depuis quelques années. Même quand le sujet l’intéresse, le résultat n’est jamais véritablement incarné. Belfast est un film safe et sans grande substance, un cocon rassurant qui peut réchauffer ou irriter selon votre humeur.