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L'adaptation de la franchise du jeu vidéo mêle belles visions de cinéma et narration parfois brouillonne.

Le problème de l'adaptation d'un jeu vidéo à l'écran de nos jours n'est plus de reproduire l'expérience ludique -absente par définition du film- mais bien de se confronter à ce que le jeu vidéo fait parfois extrêmement bien : du cinéma. Il suffit de regarder quelques cinématiques ou bandes-annonces des derniers blockbusters pour se rendre compte que les jeux vidéo offrent des sensations purement cinématographiques souvent ahurissantes. La malédiction des jeux vidéo au ciné n'est pas dans l'absence de manette mais dans l'absence de cinoche. Il suffit de comparer les trailers de la franchise Warcraft version vidéoludique à ceux de sa version cinéma pour voir le problème. Sur le plan du cinéma pur, le film de Duncan Jones se faisait rétamer par les trois minutes vingt de la bande-annonce de La Colère du Roi Liche, par exemple. Pas besoin d'y jouer pour saisir le problème, donc. Le défi d'Assassin's Creed, première production de l'éditeur de jeux vidéo Ubi Soft, est autant de faire la promotion de la franchise de jeux que de faire un vrai film, avec un réalisateur de choix (Justin Kurzel, connu pour Les Crimes de Snowtown et Macbeth) et un casting glorieux (Michael Fassbender et Marion Cotillard, déjà dans le Macbeth de Kurzel). En lui-même, Assassin's Creed promet déjà autre chose que Hitman : Agent 47. Mais le combo réal+cast n'a pas porté chance à Warcraft.

Le truc, c'est que Assassin's Creed repose sur un concept assez compliqué à résumer. Disons qu'il y a d'un côté les Templiers et de l'autre les Assassins, deux sociétés secrètes qui s'affrontent depuis des millénaires. Et les Templiers capturent un condamné à mort, Cal Lynch (Fassbender, égal à lui-même donc plutôt bon), descendant d'un Assassin, pour le plonger grâce à une machine appelée Animus dans un passé reconstitué grâce à sa "mémoire génétique". Voilà Cal qui revit les souvenirs de son ancêtre Aguilar, qui lutte contre les Templiers dans la Tolède sous le joug de Torquemada et de l'Inquisition, à la recherche d'un mystérieux objet. Dans le jeu, c'est une belle idée ludique : le cadre de jeu gigogne, qui permet de donner un semblant de justification au game design (die and retry, interface, avatar). Et de fournir aussi une belle idée de franchise, avec chaque jeu qui propose de revivre un passé différent (Jérusalem pendant la Première croisade, à la Guerre d'indépendance américaine, aux pirates des Caraïbes, etc). Le film jongle donc entre deux niveaux d'irréel : un premier niveau, un peu laborieux et explicatif, dans le labo-prison où Cal est détenu et un deuxième qui consiste surtout en des scènes de baston/parkour (une marque de fabrique du jeu) avec Aguilar et sa camarade Maria (Ariane Labed) qui tuent des Templiers.

Exclu - le film Assassin's Creed 2 pourrait se dérouler pendant la Guerre froide

La bonne nouvelle, c'est que le film est assez lisible même pour le néophyte (comme l'auteur de cette critique). Le principe du film Assassin's Creed repose sur des principes de science-fiction à la frontière du nanar (la "mémoire génétique") et d'éléments moralement très discutables (la violence prédestinée dans l'ADN) érigés comme vérités absolues. La phrase des Assassins "tous ne méritent pas de vivre", leitmotiv du film, fait même un peu froid dans le dos quand on la détache de son contexte de jeu vidéo où la violence exercée est un élément de game design comme un autre. Conséquence de ce background brouillon, la narration d'Assassin's Creed est peu claire, alors qu'il veut justement ériger une mythologie, bâtir un univers. Dommage, d'autant que le film s'achève sur une fin très ouverte (coucou les suites si le film marche). Mais la bonne idée d'Assassin's Creed est de vouloir avant tout être un film (à l'instar du travail de Christophe Gans sur Silent Hill), et de livrer de véritables morceaux de bravoure : dès que la caméra de Kurzel plonge dans Tolède, le film devient impressionnant visuellement, notamment avec une belle plongée en plan-séquence dans une scène de bataille médiévale brutale et pompière tandis que le score de Jed Kurzel, lancinant et tachycardique (on pense au John Powell de la série Bourne), assure efficacement l'unité de l'ensemble. Plus loin, une immersion dans un tableau de Francisco Rizi sur une scène d'autodafé devient une scène de baston dans une cérémonie aux accents païens. Au fond, le film entend jouer sérieusement et s'attaquer aux dogmes (catholicisme, capitalisme) en prônant le libre-arbitre et l'anarchie. Ce qui n'est pas vraiment présent à l'écran. On est surtout là pour voir des Assassins taper des Templiers, et Kurzel ne cherche donc pas à reproduire un jeu vidéo mais à faire un vrai film d'aventures, puissant et évocateur. Bonne idée, et parfois, ça marche. Une phrase piquée au roman Alamut de Vladimir Bartol revient sans cesse : "rien n'est vrai, tout est permis". Une devise très classe, impressionnante un peu creuse et pompeuse, détachée de son contexte. Un peu comme le film.

Bande-annonce d'Assassin's Creed, actuellement en salles :