Première
par Frédéric Foubert
Olivier Assayas filme un nouveau pensum théorique sur la modernité et l'ultra-solitude. Neurasthénique malgré la présence de K-Stew.
Olivier Assayas et Kristen Stewart poursuivent leur romance ciné, deux ans après Sils Maria (qui a valu un César à l’actrice). Juliette Binoche ne fait plus partie de l’équation mais K-Stew reprend son emploi de jeune femme à tout faire (après avoir géré l’emploi du temps d’une grande actrice dans le précédent, elle achète ici des fringues pour une insaisissable jet-setteuse), dans cette nouvelle variation sur l’Eve de Mankiewicz, encore plus abstraite et éthérée que la précédente. Plus ouvertement spectrale aussi, puisque Kristen est médium et tente d’entrer en contact avec son frère disparu. C’est un film d’auteur français qui aurait regardé beaucoup de films de fantômes japonais (ceux de Kiyoshi Kurosawa, surtout) et aborderait le genre de biais, avec des pincettes. C’est aussi une dissertation sur le matériel et l’immatériel qu’Assayas situe dans son univers glamour traditionnel (un monde de palaces et de voyages en business class) et sature comme d’hab’ de tous les signes de la modernité – écrans de smartphone, vidéos YouTube, recherches Google, etc.
Etre à la pointe du contemporain a toujours été l’obsession de l’auteur de Paris s’éveille, mais c’est un jeu dangereux ; un peu comme si le réalisateur condamnait ses propres films à devenir datés, has-been (faites le test, revoyez Irma Vep : les personnages y sont constamment interrompus par la sonnerie de leur bi-bop). Il radicalise ici sa démarche et c’est peut-être pour ça que Personal Shopper donne parfois l’impression d’être déjà vieux, ou plutôt de se périmer en direct. Une grosse vingtaine de minutes, en plein cœur du film, est ainsi consacrée à un aller-retour Paris-Londres en Eurostar, durant lequel l’héroïne envoie des sms à un correspondant inconnu. C’est censé être flippant et mystérieux, mais c’est en réalité à peu près aussi palpitant que… d’envoyer des sms depuis l’Eurostar. En soulignant constamment ses velléités théoriques, le film désamorce l’hypnose qu’il essaye par ailleurs de mettre en place. Et c’est encore pire quand apparaît sans crier gare sur un écran d’ordinateur une photo de Conchita Wurst ( !), quand les mugs de café se mettent à voler (!!) ou lors du caméo super wtf de Benjamin Biolay en Victor Hugo (!!!). Tout ça flingue franchement l’atmosphère de terreur chic et glacée recherchée.
Le deuxième parti-pris du film – parier sur l’énorme pouvoir fantasmatique de Kristen Stewart – est quant à lui un peu plus tenu. Assayas ne la lâche pas d’une semelle. On l’adore, Kristen. Elle était super dans Sils Maria. Mais elle peine ici à porter un film entier sur ses épaules. On la voit se donner du mal, faire des efforts, très juste dans une scène, plus hésitante dans une autre. Semblable en cela à Rob Pattinson, autre acteur pas très sûr de lui qui fait ses gammes en public. Ça crée un effet bizarre, assez touchant. Cette étude amoureuse de Kristen culmine dans une jolie scène d’effeuillage à l’envers, où elle essaye la robe de sa boss. Belle idée, ça, d’inverser la proposition du strip-tease de cinéma, en montrant une fille nue qui s’habille très lentement.
Mais une star sexy et du parquet qui grince ne font pas un film. Clairement inspiré par Bret Easton Ellis (la jet-set parano, l’horreur intello, les messages d’inconnus sur votre portable, ce souffle froid dont on ne sait pas si c’est celui de la mort ou de l’air conditionné…), Assayas échoue à construire une vraie atmosphère de trouille, sombre dans le vide chic qu’il voulait décrire, et livre un film ectoplasmique. Tout ça nous donne encore plus envie de découvrir le Nocturama de Bertrand Bonello, probable variation sur le Glamorama d’Easton Ellis, et dont on est curieux de savoir s’il aurait eu plus de gueule que Personal Shopper en compète.
Première
par Frédéric Foubert
Olivier Assayas et Kristen Stewart poursuivent leur romance ciné, deux ans après Sils Maria (qui a valu un César à l’actrice). Juliette Binoche ne fait plus partie de l’équation mais K-Stew reprend son emploi de jeune femme à tout faire (après avoir géré l’emploi du temps d’une grande actrice dans le précédent, elle achète ici des fringues pour une insaisissable jet-setteuse), dans cette nouvelle variation sur l’Eve de Mankiewicz, encore plus abstraite et éthérée que la précédente. Plus ouvertement spectrale aussi, puisque Kristen est médium et tente d’entrer en contact avec son frère disparu. C’est un film d’auteur français qui aurait regardé beaucoup de films de fantômes japonais (ceux de Kiyoshi Kurosawa, surtout) et aborderait le genre de biais, avec des pincettes. C’est aussi une dissertation sur le matériel et l’immatériel qu’Assayas situe dans son univers glamour traditionnel (un monde de palaces et de voyages en business class) et sature comme d’hab’ de tous les signes de la modernité – écrans de smartphone, vidéos YouTube, recherches Google, etc.
Un trip trop théorique
Etre à la pointe du contemporain a toujours été l’obsession de l’auteur de Paris s’éveille, mais c’est un jeu dangereux ; un peu comme si le réalisateur condamnait ses propres films à devenir datés, has-been (faites le test, revoyez Irma Vep : les personnages y sont constamment interrompus par la sonnerie de leur bi-bop). Il radicalise ici sa démarche et c’est peut-être pour ça que Personal Shopper donne parfois l’impression d’être déjà vieux, ou plutôt de se périmer en direct. Une grosse vingtaine de minutes, en plein cœur du film, est ainsi consacrée à un aller-retour Paris-Londres en Eurostar, durant lequel l’héroïne envoie des sms à un correspondant inconnu. C’est censé être flippant et mystérieux, mais c’est en réalité à peu près aussi palpitant que… d’envoyer des sms depuis l’Eurostar. En soulignant constamment ses velléités théoriques, le film désamorce l’hypnose qu’il essaye par ailleurs de mettre en place. Et c’est encore pire quand apparaît sans crier gare sur un écran d’ordinateur une photo de Conchita Wurst ( !), quand les mugs de café se mettent à voler (!!) ou lors du caméo super wtf de Benjamin Biolay en Victor Hugo (!!!). Tout ça flingue franchement l’atmosphère de terreur chic et glacée recherchée.
Malgré K-Stew
Le deuxième parti-pris du film – parier sur l’énorme pouvoir fantasmatique de Kristen Stewart – est quant à lui un peu plus tenu. Assayas ne la lâche pas d’une semelle. On l’adore, Kristen. Elle était super dans Sils Maria. Mais elle peine ici à porter un film entier sur ses épaules. On la voit se donner du mal, faire des efforts, très juste dans une scène, plus hésitante dans une autre. Semblable en cela à Rob Pattinson, autre acteur pas très sûr de lui qui fait ses gammes en public. Ça crée un effet bizarre, assez touchant. Cette étude amoureuse de Kristen culmine dans une jolie scène d’effeuillage à l’envers, où elle essaye la robe de sa boss. Belle idée, ça, d’inverser la proposition du strip-tease de cinéma, en montrant une fille nue qui s’habille très lentement. Mais une star sexy et du parquet qui grince ne font pas un film. Clairement inspiré par Bret Easton Ellis (la jet-set parano, l’horreur intello, les messages d’inconnus sur votre portable, ce souffle froid dont on ne sait pas si c’est celui de la mort ou de l’air conditionné…), Assayas échoue à construire une vraie atmosphère de trouille, sombre dans le vide chic qu’il voulait décrire, et livre un film ectoplasmique.