Nona et ses filles
Arte

La première série de la réalisatrice s’appuie sur un postulat extravagant – une femme tombe enceinte à 70 ans – pour réussir un conte féministe et fantaisiste, doublé d’un portrait de famille aux résonances modernes.

Élisabeth Perrier (Miou-Miou), surnommée Nona, dirige du haut de ses 70 ans le planning familial du quartier de la Goutte d’Or à Paris. Cette femme résolument féministe a élevé seule ses filles, des triplées aujourd’hui âgées de 44 ans : Manu (Virginie Ledoyen), mère au foyer BCBG qui a cinq garçons, Gaby (Clotilde Hesme), sexologue célibataire qui écrit des essais sur le couple, et George (Valérie Donzelli), femme-enfant qui n’a jamais quitté le nid familial et qui patauge dans la rédaction d’une thèse universitaire. Nona vit quant à elle une histoire d’amour secrète avec André, le directeur de thèse de George. Mais lorsque son médecin de famille lui annonce qu’elle est enceinte de cinq mois et demi et qu’André ne serait pas le père du bébé, le mystère s’invite et la petite troupe doit s’organiser tant bien que mal. Les triplées s’installent en compagnie d’un homme sage-femme chez Nona, dont le ventre se met soudain à émettre une étrange lumière rouge qui va la faire passer auprès des habitants du quartier pour une déesse des temps modernes…



La réalisatrice Valérie Donzelli est passée experte dans l’art de la comédie dramatique qui traite, entre fantaisie et gravité, de thématiques amoureuses, familiales ou sociétales contemporaines. Avec cette première série télévisée qu’elle signe pour Arte, Donzelli ne se contente pas de décliner son oeuvre cinématographique sous forme sérielle mais déploie un univers à part entière. Dans ces neuf épisodes de 30 minutes, coécrits avec Clémence Madeleine-Perdrillat (scénariste sur OVNI(s) et sur la saison 2 d’En thérapie), l’autrice-réalisatrice prend le temps de dépeindre de surprenantes interactions entre ses protagonistes hauts en couleur. Au-delà de son récit fantastique et du touchant personnage de Nona, qui vit la maternité comme un superpouvoir amenant toutes sortes de complications, la série s’amuse aussi à dessiner une galerie de personnages masculins loin d’être dominants (outre Michel Vuillermoz et Rüdiger Vogler apparaissent également Antoine Reinartz ou Christopher Thompson) qui passent leur temps à cavaler derrière les héroïnes. 

Au coeur de  cette oeuvre où il est question de paternité fantôme et d’ADN chimérique, les créatrices s’emparent avec brio de ce qui fait l’identité du genre sériel, entre situations de huis clos, parfum de sitcom et instauration de twists en cascades. Les décors intérieurs, éclairés par la superbe  photographie d’Irina Lubtchansky (la directrice photo des derniers films d’Arnaud Desplechin), mettent en lumière la chaleur des visages tandis que la tonalité jazzy de la bande-son se met au service des changements d’humeur, des variations sentimentales et des métamorphoses chères à cette série qui se pare dans ses derniers épisodes d’une belle solennité et d’une dimension politique convaincante. Révélant sa nature de fable magique sur le féminisme conquérant et sur la puissance invaincue des femmes, Nona et ses filles atteint alors une ampleur à laquelle les films de Valérie Donzelli n’accédaient pas toujours. Avec son joyeux entremêlement de réflexions scientifiques et de croyances atemporelles, la série finit par affirmer à haute voix que la société doit urgemment cesser de culpabiliser les femmes. En créant des passerelles entre époques et générations pour en appeler à la solidarité collective, cette oeuvre engagée défend ainsi avec vitalité un réenchantement de l’amour et de la famille, au moyen d’images et de sensations qui célèbrent sereinement l’insatiable soif de liberté de ses héroïnes.

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