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"On dit que les actrices doivent être désirables, glamour, sexy. Je ne vois pas les choses comme ça."

Suite à l’affaire Harvey Weinstein, l’émission Stupéfiant, présentée par Léa Salamé sur France 2, s’est interrogée hier soir sur le harcèlement sexuel dans le cinéma français. Parmi les invités, Sara Forestier s’est exprimée et ses propos ne sont pas passés inaperçus. Elle les a depuis défendus sur les réseaux sociaux, mais pour bien comprendre l’impact de son "coup de gueule", au cours duquel elle a révélé des expériences intimes, détaillons son interview.

"J’étais pas assez une femme objet, en fait"
L’actrice césarisée pour L’Esquive et Le Nom des gens a commencé par expliquer qu'elle n'avait jamais eu d'avances déplacées de la part de Harvey Weinstein, mais elle a précisé qu’un metteur en scène (qu'elle ne nomme pas) lui avait fait des avances très claires. "J’ai compris que si je ne couchais pas avec lui, je ne jouerais pas dans son film. J’ai pas couché avec lui, j’ai pas tourné dans son film. Et voilà. Un autre metteur en scène m’avait prise sur un film, je sentais qu’il était dans un rapport de séduction. Moi, je rentrais pas dans son jeu, je n’étais pas là pour le draguer. Un jour, il me donne un rendez-vous, et me dit : ‘Ecoute, Sara, y a un problème, j’te désire pas assez’. Il m’a dit carrément ‘Tu vois, Sara, t’es le genre d’actrice avec qui on a envie de se branler, mais t’es pas le genre d’actrice qu’on a envie de regarder et de se branler’. J’étais pas assez une femme objet, en fait. Il me le disait comme si c’était artistique. Il jouait sur cette frontière hyper floue qui existe."

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"Il y a cette injonction à être sexy, toujours, à être glamour. Or, une femme, ce n’est pas que ça"
La comédienne se lance alors dans une diatribe contre "l’obligation" d’être sexy. Le fait de devoir se maquiller avant de passer à la télé ou d'accepter de poser pour des photos de nu, par exemple. "On dit que les actrices doivent être désirables, glamour, sexy. Je ne vois pas les choses comme ça. Moi, je suis là pour donner des émotions. Pourquoi est-ce que je livrerais une partie de mon intimité ou de mon sex-appeal ? Si le rôle a du sex-appeal, là, oui. Mais ce qui est vraiment vicieux, c’est que quand on est une femme, y a une injonction à être sexy, à être glamour. C’est comme si on vous dépossédait d’une part de votre sexualité. Comme si elle devait appartenir au public. (…) Je me sentais heurtée quand on me demandait de prendre des poses (dans des magazines féminins, ndlr). Pourquoi je devrais être sexy sur des photos ? Il y a cette tradition de comédiennes qui font des photos de nu dans Lui. Sincèrement, je ne comprends pas. Pourquoi ? On m’a proposé d’être nue. Mais quand ça devient systématique, ça devient pernicieux. C’est pareil pour le maquillage. J’adore le maquillage, j’adore la féminité, j’aime les nus, mais j’ai un problème avec l’injonction. On a quand même une responsabilité dans les médias, dans le cinéma… par le fait qu’on est filmé. On représente une image de la femme. Ça peut paraitre anodin de ne pas mettre de maquillage… mais vous vous rendez compte de ce qu’a fait Alicia Keys ? Son 'no make up' (le fait d’apparaître non maquillée sur des plateaux télé), c’est devenu un mouvement. Il y a cette injonction à être sexy, toujours, à être glamour. Or, une femme, ce n’est pas que ça. Et ce qui est fou, c’est qu’on demande ça à des femmes créatrices. Mon métier n’est pas d’être sexy, c’est de créer de l’émotion."

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"Ce qui se joue, c’est un rapport de confiance"
Ensuite, Sara Forestier donne un exemple concret en évoquant une autre expérience déplaisante survenue au début de sa carrière. "Pour un de mes premiers courts métrages, il fallait que je retire ma culotte, que je la fasse voler dans les airs pour qu’elle tombe dans la soupe de la grand-mère, c’était n’importe quoi. J’ai refusé. J’avais 13 ans. Les gens du film avaient été choqués, ils m’avaient dit ‘mais comment ça tu refuses, t’as jamais rien fait ?’ Ben ouais, je refuse parce que je ne comprends pas le délire d’enlever ma culotte. J’avais 13 ans, ça m’avait un peu choquée."

En revanche, elle ne trouve pas les méthodes d’Abdellatif Kéchiche agressives. Léa Salamé l’a interrogée sur les propos de Léa Seydoux, qui a reproché plusieurs fois au réalisateur d’avoir fait durer le tournage des scènes de sexe sur le plateau de La Vie d’Adèle, puisque Sara a tourné dans L’Esquive, du même réalisateur, sorti en 2004. "C’est pas une question d’envie de le défendre, mais c’est sa manière de tourner. Pour tous les sujets, que ce soit le sexe ou pas. Moi, ça m’a pas choquée. Ce qui se joue, c’est un rapport de confiance, c’est pas le fait de retourner la scène un milliard de fois. Apparemment, entre lui et Léa Seydoux, y avait un rapport qui était déjà détérioré, en fait. Il n’y avait pas de confiance. Moi, par exemple, quand j’ai tourné avec Abdel, à un moment donné je me suis blessée. Une portière de voiture s’est refermée sur mon doigt. C’était sympa ! (rires) Il a voulu qu’on continue à tourner, en attendant les pompiers. Et j’ai accepté. Ça n’engage que moi. S’il avait dit non, peut-être qu’on se serait engueulés, mais c’est la vie, c’est pas grave."

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"Ce qui est en train de se passer, c’est un enjeu de société"
Présente sur les réseaux sociaux, l’actrice a été témoin du phénomène #balancetonporc. "J’aime pas du tout ce hashtag. Je pense que ce qui est en train de se passer, c’est un enjeu de société. Si on fait de ça un phénomène de délation, c’est raté. Il faut qu’on fasse une analyse. Nommer des gens, c’est important dans le privé. Faire marcher la justice, faire des démarches, que les gens prennent leurs responsabilités, ça c’est important. Mais dans les médias, en public, c’est important de nommer le mal, d’essayer de comprendre. (…) La chose la plus violente dans cette affaire, c’était le fait de briser le silence, que les gens prennent la parole. Ça, oui, ça va faire changer les choses. L’origine de tout ça, pour moi, c’est : pourquoi Weinstein s’est dit que toutes ces femmes lui appartenaient ? Parce que, dans l’inconscient collectif, les actrices, leur féminité nous appartient. C’est pour ça, aussi, qu’il se permet de faire ça, cet homme. L’important, pour moi, c’est le désir des femmes. C’est qu’elles écoutent leurs désirs. Si vous avez envie de vous maquiller, oui. Si vous n’avez pas envie, non. Si vous avez envie d’être nue sur une photo, faites-le. Mais si vous n’en avez profondément pas envie, ne le faites pas parce que vous pensez que vous allez être plus désirable, plus sexy, que ça va vous donner la cote et du job. En faisant ça, vous trahissez toutes les femmes."

"Une grossesse extra-utérine, c’est pas sexy"
En toute fin d’émission, Sara Forestier raconte une dernière anecdote, très personnelle. Au printemps dernier, elle était accusée d’avoir quitté le tournage de Bonhomme, de Marion Vernoux, après avoir frappé son partenaire Nicolas Duvauchelle. La rumeur a enflé et la comédienne a décidé de porter plainte contre plusieurs médias. Tout en répondant aux questions de l’équipe sur le harcèlement sexuel, elle a donné sa version des faits, et détaillé pourquoi elle ne s’était pas exprimée plus tôt sur ce sujet. "Qu’est-ce que c’est que l’image d’une femme désirable au cinéma ? Qu’est-ce que c’est qu’une femme glamour ? Qu’est-ce que ça veut dire ? C’est une femme qui n’avorte pas ? Qui ne fait pas de grossesse extra-utérine ? Qui ne fait pas de fausse couche ? Il y a quelques mois, pendant un tournage, j’ai dû arrêter une grossesse extra-utérine. Dans la presse à scandale, y a eu des articles qui disaient que j’avais pété les plombs sur le tournage, qui ont essayé de me discréditer comme on fait souvent avec les femmes en les faisant passer pour des hystériques. Ma première réaction, ça a été de réfuter les propos et de dire la vérité. Et là, autour de moi, les gens du métier m’ont dit : ‘surtout pas ! Il faut pas que tu dises que t’as fait une grossesse extra-utérine, c’est pas sexy, ça va pas créer de désir auprès des metteurs en scène. Ne parle surtout pas de ça, Sara.’ Déjà, vous êtes dans un état de fragilité, en tant que femme, et on vous met cette pression du fait d’être désirable. Ça m’a paralysée. J’ai rien dit. Tout à coup, j’ai compris qu’il y a une partie de notre féminité qu’on doit occulter, qu’on doit calquer à une image de femme très lisse, ce qu’ils appellent glamour."

L’émission est disponible en replay sur le site de France 2

Sara Forestier sera à l’affiche de M, sa première réalisation, à partir du 15 novembre.