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En réalisant  Outrage (2010), son meilleur film après une longue période creuse, Takeshi Kitano s’est rendu compte de deux choses:  non seulement le film de yakusa est le genre qui lui convient le mieux, mais à l’intérieur même de ce genre, le cineaste a inventé un style à part entière qui n’appartient qu’à lui. Il aurait donc eu tort de se priver de cet élan nouveau qui ne demandait qu’à être exploité. C’est ce qui l’a amené pour la première fois à donner une suite à un de ses films.  Outrage beyond est presque meilleur que le premier épisode: plus sobre, plus maîtrisé, plus efficace.

Le thème est le même: sous l’influence du nouvel ordre économique mondial, le monde yakusa est dirigé par une génération encore plus cupide et brutale que la précédente. Dans ces conditions, n’importe quelle provocation suffit à déclencher un cycle de massacres et de vengeances. Le flic corrompu Kataoka s’amuse à souffler sur les braises et utilise sa connaissance du milieu pour dresser les clans les uns contre les autres. Kitano orchestre cette dynamique de l’anéantissement avec un certain plaisir (celui de détruire des crapules), tempéré par la resignation mélancolique de quelqu’un qui est  marié avec la mort.  Alors que dans le précédent, Kitano expérimentait encore dans différents domaines (format cinemascope, utilisation étendue des dialogues, travail sur les effets sonores), il contrôle tout ici avec un art consommé de l’ellipse et de la litote. Il mériterait bien un prix.

 

 

 

Hors competition, Disconnect est le premier film de fiction de Henry Alex Rubin, nommé aux oscar pour son spectaculaire documentaire Murderball sur des joueurs de rugby en chaise roulante. C’est avec la même énergie percutante qu’il traite de la façon dont les nouveaux moyens de communication affectent la vie des gens. Trois histoires se déroulent en parallèle: une journaliste télé  tourne un sujet sur un site de chats porno impliquant des mineurs. Un ado est victime d’une usurpation d’identité qui dégénère en farce cruelle par facebook interposé. En se confiant sur internet à un inconnu, une femme délaissée se fait pirater son compte en banque et celui de son mari. Un peu à la façon d’Inarritu ou de Paul Haggis dans Crash, Rubin s’arrange pour créer des liens entre ces trois groupes de personnages qui n’ont rien à voir ensemble, sinon qu’ils illustrent trois drames différents produits par des causes similaires. Il y a évidemment quelque chose d’artificiel  dans cet arrangement qui aboutit crescendo à un dénouement explosif et simultané, mais il est compensé par l’énergie de la mise en scène et le naturel des acteurs Alexander Skarsgard,  Michael Nykvist, Jason Bateman, Hope Davis et Andrea Riseborough.