Mes Funérailles à Berlin / Guy Hamilton (1966)
Deux ans après le sommet bondesque incontesté Goldfinger, son auteur Guy Hamilton tourne le dos à l’espion écossais pour aller voir chez les Cockney comment ça se passe. Michael Caine, rival et faux frère de Sean Connery (voir leur film en duo L'Homme qui voulut être roi dix ans après) a lancé en 1965 les aventures du londonien Harry Palmer, "l’espion qui n’était pas Bond", le genre de type qui met des lunettes et un trench coat plutôt qu’un nœud pap’ et un costume sur mesure. Bref, l’anti-Bond joué par l’autre plus grand acteur british des sixties, qui rappelle dans ces aventures berlinoises que les espions d’alors ne faisaient pas que danser le chachacha dans des îles tropicales. C’était la guerre FROIDE, les gars, un truc ressemblant à la vision que commençait à en donner les bouquins de John Le Carré, un truc qui pouvait donner un vrai film avec de vrais personnages et de vraies émotions (et quand même des jolies jambes de jolies femmes). Option que n’emprunta jamais la série Bond… jusqu’à Skyfall.
La Vie privée de Sherlock Holmes / Billy Wilder (1970)A propos d’Ecosse, impossible de passer ce chef-d’œuvre mélancolipop, certes plombé par les problèmes de production mais sublimement recouvert de brume et d’ironie lasse. Billy Wilder oblige, le film est un sommet d’écriture mais il est surtout l’un des premiers « reboot » de l’histoire : à savoir une nouvelle version d’un héros classique, à la fois ranimé et réorienté (désorienté, même, pourquoi pas) par la vision d’un artiste qui porte sur lui un regard rétrospectif et analytique. Un reboot brumeux retour aux sources faisant une longue escale en l’Ecosse ? Désolé, mais on trouve difficilement meilleur résumé de Skyfall.
Batman Trilogy / Chris Nolan (2005-2012)Sam Mendes a cité lui-même dans 2504 articles et interviews publiés ces dernières semaines combien le Dark Knight de Chris Nolan l’a inspiré et lui a montré la voie de ce que devait/pouvait être Skyfall. Il citait spécifiquement le 2, sans doute pour sa noirceur urbaine et la (géniale) parodie du Joker tentée par Javier Bardem, mais il aurait tout aussi bien pu citer Batman Begins (les cascades de métro, le traitement émotionnel du héros orphelin, sa quête biographique) ou Dark Knight Rises pour la symbolique « intestinale » des tunnels et souterrains que les personnages doivent traverser pour «revenir au monde» et pour son héros « usé, las, fatigué, » qualificatifs dont on sait depuis Jacques Chirac qu’il vaut mieux s’en méfier. Un paradoxe : en ces temps où le cinéma « feel good » règne, seuls Batman et James Bond ont désormais le droit à l’intensité, la noirceur et même à un peu de tristesse. Qui l’eut cru ?
Jarhead / Sam Mendes (2005)Pourquoi celui-là et pas Les Sentiers de la perdition, polar splendide adapté d’un comic book par le même Sam Mendes ? Eh bien parce que s’il est bon de rattacher Skyfall à la filmographie de son metteur en scène, sans doute l’artiste le plus accompli ayant jamais officié sur la série, le seul en tout cas qui ait su (ou pu) rattacher dignement son Bond à son œuvre d’auteur, il est également nécessaire de rappeler qu’un des grands artisans de la réussite de ce 23ème film est son chef-opérateur Roger Deakins. Collaborateur attitré des frères Coen (sous la direction desquels il avait déjà travaillé avec Javier Bardem - pour le film No Country for Old Men), génial sculpteur de lumière et virtuose des séquences nocturnes éclairées exclusivement par l’action, Deakins réussit dans Skyfall au moins deux chocs visuels qui laissent abasourdis : la bagarre en ombre chinoise dans un immeuble de Shanghai éclairé par les enseignes lumineuses de l’autre côté de la rue, et le final en Ecosse, où les puits de pétrole en flamme qui éclairaient la nuit de Jarhead font des petits.
Millenium / David Fincher (2012)Daniel Craig sera donc apparu dans deux films en 2012, deux films sombres et âpres dans lesquels il laisse apparaître des fragilités nouvelles, très éloignées del’option « surhomme qui passe à travers les murs » établie par Casino Royale et Quantum of Solace. Dans Skyfall, même quand il rejoint des belles femmes sousla douche, on sent une implication qui frise la douleur, le personnage prenant un tour sulpicien presque perturbant, surtout quand on pense au détachement des glorieux prédécesseurs Sean (beaucoup) et Roger (trop). N’empêche, en 2012, un seul acteur a joué dans un Sam Mendes et un David Fincher, qui plus est des cartons internationaux avec un supplément d’âme indiscutable : lui. La prochaine fois, il lui suffira d’inviter Rachel Weisz en Bond Girl pour finir son impressionnant coup d’état sur une série qui jusque-là n’appartenait qu’à son team de production.
Guillaume Bonnet
Commentaires