Première
par Frédéric Foubert
« C’est le plus film le plus gigantesque que j’ai tourné. En fait, c’est le film le plus gigantesque que quiconque ait tourné depuis l’époque du muet », déclarait Christopher Nolan au magazine anglais Empire il y a quelques semaines, alors qu’il mettait la dernière main à The Dark Knight Rises, aka « le blockbuster le plus attendu de l’année ». Une promesse de monumentalité qui, derrière l’immodestie légèrement délirante, était finalement la seule option possible pour un super-auteur comme Nolan, condamné à envoyer du lourd après les triomphes public et critique de The Dark Knight et Inception.
Et sur ce terrain-là, pas de doute, le film va décevoir. Sans aller jusqu’à le comparer aux grands formalistes russes ou au génie visionnaire de Lang (que les choses soient claires : ce qui se passe ici est un chouïa moins impressionnant que Metropolis), TDKR risque tout simplement de doucher l’enthousiasme des fans de The Dark Knight : là où le deuxième opus de la trilogie filait comme une flèche, entièrement rivé à la trainée de poudre laissée dans Gotham par le Joker, ce troisième volet s’égare en digressions bavardes et en sorties de route scénaristiques, en scènes d’exposition inutiles et en maladresses Z, et semble constamment à la recherche de carburant. Long, très long (2h44), le film laisse sur les rotules, certes, mais plus épuisé que vraiment ébloui.
Pourtant, paradoxalement, c’est également grâce à son irrépressible esprit de sérieux que le film parvient, par bribes, à emporter le morceau. Si le propos politique de Nolan est très confus (le grand méchant Bane est un mix entre Robespierre, Ben Laden et Stéphane Hessel), sa volonté d’organiser la collision entre mythologie comics, thriller urbain et images de l’actu récente continue de payer. Une vision de Wall Street sous la neige, les ponts de Gotham qui explosent un à un, les exils à répétition d’un Bruce Wayne décharné, ou une scène bluffante de détournement d’avion, et le film décolle.
Christian Bale et Tom Hardy, eux, y croient dur comme fer (les corps-à-corps entre Batman et Bane sont monstrueux), à tel point qu’ils donnent l’impression de jouer dans un film à oscars plutôt que dans un blockbuster estival. Plein comme un œuf et inabouti à la fois, The Dark Knight Rises s’achève sur l’image d’une statue, dans laquelle il n’est pas interdit de voir celle que Nolan a patiemment construite à sa propre gloire film après film. On laissera à d’autres le soin de la déboulonner, en se contentant de lui conseiller, pour la prochaine fois, d’aller prendre l’air à des hauteurs moins asphyxiantes.
Première
par Sylvestre Picard
« Tu as changé les choses. A jamais. » C’est ainsi que le Joker apostrophe Batman dans The Dark Knight : manière de dire qu’à travers Batman Begins, sorti trois ans plus tôt, et Dark Knight, Christopher Nolan rendait bankable la pratique des reboots hollywoodiens. Et affirmait au passage son statut de réalisateur le plus puissant des USA. Un projet conforté par le milliard de dollars rapporté par le film en 2008, et l’Oscar posthume pour Heath Ledger.
Quatre ans plus tard, les choses n’ont malheureusement pas changé. Pire : The Dark Knight Rises déçoit toutes les attentes. On nous promettait un film où la guérilla urbaine renversait Wall Street tandis que le dark knight se faisait exploser par un super-méchant ultime, on se retrouve avec un script qui s’inspire des actioners 90’s les plus banals, avec des terroristes anonymes grotesques, une bombe nucléaire nanarde et son discours attendu. « On devrait arrêter de jouer avec la vérité », s’exaspère Gordon (Gary Oldman, très fatigué). Et avec le spectateur ?
Selina Kyle (Anne Hathaway, formidable à chaque scène et de loin le meilleur personnage de TDKR) cherche un programme appelé Table Rase : ce qui aurait pu être l’ambition du film -mettre un point final à la saga, tout passer au kärcher- n’est qu’un McGuffin à peine évoqué. Les quinze dernières minutes sont très loin de mettre un terme à la trilogie et ressemblent plutôt à une concession aux studios et à sa logique de suites (restez tranquilles : ce n’est pas un spoiler, il n’y a rien à spoiler). Quant à Bane, le constat est clair : outre sa voix horrible - gonflée à bloc en post-prod et qui vous explose à la gueule sans nuances - le personnage de Tom Hardy peine à acquérir une stature de grand méchant crédible et menaçant (dès qu’il parle), bien que sa très attendue scène de baston avec Batman soit assez intense. Techniquement, on se demande aussi comment certaines erreurs flagrantes ont pu passer l'étape du montage (l’arrivée de Gordon au repaire de Bane et son évasion, monument de maladresse, ou l’affrontement pseudo-Braveheart des flics et des terroristes).
Ces 164 minutes apparaissent définitivement comme les plus vaines de la trilogie.