Pour son premier long métrage, Nicolas Pariser signe avec Le Grand jeu une parabole politique d’une acuité exemplaire et servi par une interprétation de haut vol
Le cinéma politique français, très en verve dans les années 70 (Costa Gavras, Yves Boisset), a pratiquement disparu mais semble connaître un regain d’attention, toutefois très relatif : Président, L’Exercice de l’État (3 César en 2012) ou Quai d’Orsay ont été des gouttes d’eau dans l’océan des sorties annuelles. C’est donc une surprise de voir un réalisateur débutant s’emparer d’un type de sujet qu’on croirait plutôt réservé à des vieux briscards.
Dans Le Grand jeu, Prix Louis Delluc 2015 du Premier Film, Melvil Poupaud, écrivain désabusé, lie connaissance avec un homme de l’ombre, joué par l’impérial André Dussollier, qui lui confie une mission, bientôt compromettante. Au programme, barbouzeries et réflexion sur l’engagement… Nicolas Pariser explique son goût pour la chose politique et pour les personnages en clair-obscur.
C’est rare pour un premier film français d’aborder un tel sujet, aussi dense et fouillé. Comment cela a-t-il muri ?
Dès le moment où j’ai commencé à réaliser des courts métrages, j’ai eu envie de m’inscrire dans le cinéma d’auteur que j’aime tout en essayant de m’extraire du registre de l’intime et des sentiments, des thématiques liées à la jeunesse. Un de mes premiers courts, La République, évoquait déjà les intrigues politiques orchestrées par des personnages quadragénaires et plus. Quand il s’est agi de me projeter dans le long métrage, j’ai conservé ces aspects-là en ajoutant une couche de thriller paranoïaque.
Êtes-vous d’accord pour dire que votre film fait le grand écart entre La Nouvelle Vague et, disons, le cinéma populaire à la Yves Boisset ?
C’est marrant, quelqu’un m’a dit récemment que mon film ressemblait à un scénario de Boisset tourné par Rohmer. J’aime bien cette définition. À ce que je sais, Boisset est très cinéphile et influencé par le cinéma noir américain, tout comme moi. Par ailleurs, Chabrol et Rohmer sont les représentants de la Nouvelle Vague qui m’intéressent le plus. Le premier pour le côté balzacien, le second pour le côté littéraire.
Avez-vous eu des facilités à le financer ?
Selon mon producteur, ça a été compliqué pour deux raisons : ce n’est pas un geste de cinéma radical ni un film de marché. Les financements automatiques qui vont à l’un ou à l’autre ne fonctionnaient pas. L’avance sur recettes, par exemple, nous a dit qu’on n’avait pas besoin d’elle parce qu’il y avait Dussollier dans le film. Canal+, qui a besoin de remplir des cases, ne voyait pas dans laquelle le mettre. Après, je ne me plains pas. On a mis quatre ans à le financer pour un budget final confortable, ça ne me paraît pas aberrant.
À quel point le film est-il une réflexion personnelle, notamment par rapport au militantisme ?
J’ai le même âge que Melvil Poupaud dont le personnage traduit une forme d’introspection personnelle sur ce que j’ai fait de ma vie, sur mon rapport à la politique. Je me reconnais aussi bizarrement beaucoup dans le personnage de Dussollier ; j’aime la politique dans son aspect souterrain, un peu occulte. Il y a une mauvaise partie de moi que ça intéresse.
Vous voulez dire la meilleure ?
(rires) Je ne sais pas…
Tout est-il fictionné ?
Je pars, disons, d’événements existants, les cabinets noirs de Mitterrand, la fin du Gaullisme… Mais ce qui m’importe, c’est la fiction.
Mais ces dialogues très pointus, très éclairés, ces fameux « éléments de langage » tenus par Dussollier, par quoi sont-ils nourris ?
Par ma passion pour la politique depuis mon adolescence. J’ai lu énormément d’ouvrages et d’articles sur la question.
L’intrigue avance grâce aux dialogues. Le principal écueil était-il de mettre en scène des hommes qui parlent ?
Ce n’était pas une difficulté a priori, mais c’était en effet le cœur de la mise en scène et de mon parti pris d’une certaine théâtralité. Je me suis rendu compte assez rapidement que le découpage et le cadre venaient tout seuls tant les acteurs étaient bons. Quelqu’un comme Dussollier crée pratiquement le découpage par son jeu. Il suffisait de le regarder pour savoir s’il fallait un plan large ou un champ/contre-champ.
Partagez-vous l’amertume des personnages à propos de l’engagement, de la fin des utopies ?
Je ne parlerais pas d’amertume. Le personnage joué par Clémence Poesy n’est ni amer ni cynique. Je lui prête au contraire une espèce de modération. Je revendique, en revanche, une mélancolie du temps qui passe.
@chris_narbonne
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