Dans son premier vrai long métrage, Greta Gerwig craque discrètement les codes du coming-of-age movie pour imposer sa patte douce-amère.
Lady Bird revient sur France 4, ce soir, ainsi que sur France.TV. A sa sortie début 2018, ce film porté par Saoirse Ronan avait beaucoup plu à la rédaction de Première.
Christine a un plan : devenir écrivain. Mais avant la vraie vie, du moins celle qu’elle fantasme depuis sa chambre en écoutant « Cry Me a river » de Justin Timberlake (on est en 2002), il va falloir surmonter le frustrant surplace de sa dernière année dans un lycée catho de la banlieue de Sacramento. Rien ne convient à l’adolescente aux cheveux rouges. Ni sa ville, qu’elle juge trop plouc par rapport à la Mecque de la culture, New York, ni ses parents, largués selon elle, ni son grand frère (adopté), trop docile pour être honnête malgré ses piercings, ni sa situation sociale, rétrogradée depuis que son père est chômage, ni même son prénom. Donc Christine se rebaptise « Lady Bird », se trouve un mec blond aux allures de gendre idéal, fréquente la fille la plus populaire du bahut, prétend habiter une villa des beaux quartiers plutôt que sa modeste maison située « du mauvais côté des rails ». Bref, sa vie devient un roman pastel dont elle serait la seule auteure démiurgique - et un poil égocentrique. Evidemment, l’illusion ne tient pas debout bien longtemps.
Vieux journal intime
Le terrain de jeu emprunté par Greta Gerwig parait plutôt balisé. Déceptions amicalo-sentimentales, communication défaillante avec la planète adulte, difficultés à sortir de sa chrysalide sur fond de rassurantes suburbs et de sempiternelle prom night : voilà posé l’écrin usé du coming of age movie formulé par John Hugues il y a un quart de siècle, et pourtant. La muse de Noah Baumbach a une manière bien à elle de croquer sa teenager rebelle (pétaradante Saoirse Ronan, qui confirme sa percée de Brooklyn). La cadence est saccadée. Les dialogues fusent avec une drôlerie rêche. Les saynètes s’enchainent sans respiration, se percutent dans une légèreté de ton qui ne tarde pas à se teinter d’amertume. La cinéaste-scénariste, elle-même native de Sacramento, nous donne l’impression de dévoiler son vieux journal intime (tout semi-fictionnel qu’il soit), sans pour autant aller au fond des choses, un peu comme si elle le feuilletait à toute vitesse, le Discman enfoncé sur les oreilles. De peur de trop se livrer ? Cette retenue pourrait rendre la chose distante, voire superficielle. Paradoxalement, c’est le contraire qui se produit : cette senior year balayée en accéléré finit par distiller en creux un sillon plus profond, le regard mi-nostalgique mi-lucide sur une jeunesse un peu ratée, à contre-temps, car jamais savourée dans l’instant, passée à cocher les cases d’une to-do-list de premières fois Disney tout en voulant s’en débarrasser comme d’une peau morte, dans l’espoir naïf de lendemains chantants. Et quand ce lendemain arrive, forcément, on jette un œil au rétro avec une pointe de regret.
Atermoiements arty
Ce regret hante tout ce teen movie et en fait le beau cœur mélancolique. Il se niche dans le rapport orageux entretenu par Lady Bird avec mère (Laurie Metcalf, excellente de pudeur butée), qui travaille dur en tant qu’infirmière pour subvenir aux besoins de la famille et peine à supporter les atermoiements « arty » de sa rejetonne. Comment respirer le même air sans s’écharper ? Une solution radicale est proposée dès la première scène en voiture, à la douloureuse « chute ». Incapables de communiquer, les deux personnages ne cessent de s’envoyer des ogives, retranchées dans leurs certitudes, avec au centre du champ de bataille, le pauvre père, émouvant en démineur malgré lui. La véritable love story du film n’est pas à chercher plus loin. Pour le résumer, ou pourrait presque reprendre la réplique finale du héros du Pickpocket de Robert Bresson : « Oh Jeanne, pour aller jusqu’à toi, quel drôle de chemin il m’a fallu prendre ». Leur amour mère-fille a quelque chose de ce tortueux itinéraire vers la grâce.
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