Elle a été sacrée meilleure actrice italienne 2020 pour sa composition une fois encore remarquable d’inventivité dans Pour toujours de Ferzan Özpetek. Rencontre.
Depuis sa première apparition en 2001 dans La Chambre du fils, Palme d’Or à Cannes cette année- là, Jasmine Trinca n’a cessé de nous éblouir sur grand écran à travers des rôles et des films qui vous marquent durablement. De Romanzo criminale à L’Apollonide, de Fortunata de Sergio Castellito (qui lui a valu le prix d’interprétation à Un Certain Regard à Cannes puis le Donatello de la meilleure actrice) à Une autre vie d’Emmanuel Mouret, du Caïman de Moretti à Miele de Valeria Golino, chacune de ses interprétations touche juste, par un mélange parfait de précision et d’extrême liberté. Ce sans- faute se confirme avec Pour toujours qui marque le retour en grande forme de Ferzan Özpetek (Hammam, Harem…). Elle y incarne la meilleure amie d’un couple homosexuel au bord de la rupture, une jeune femme elle- même en rupture avec sa mère grande bourgeoise et qui leur confie ses deux enfants à la veille d’une grave hospitalisation. Un rôle en apparence secondaire mais qu’elle fait vivre si intensément qu’il lui a valu son deuxième Donatello de la meilleure actrice. Par Zoom depuis Rome, elle revient pour Première sur cette aventure
C’est la première fois que vous travaillez avec Ferzan Özpetek. Vous vous connaissiez avant qu’il vous propose son nouveau film ?
Jasmine Trinca : J’ai d’abord connu Ferzan par son cinéma et ses premiers longs métrages, Hammam, Harem et Tableau de famille, que j’avais adorés tant il évolue comme un poisson dans l’eau dans l’univers du mélo. C’est un cinéaste qui compte en Italie car beaucoup de ses films ont participé à l’évolution des mentalités et même inspiré des lois. Je l’ai rencontré pour la première fois en 2001, l’année de mes débuts avec La Chambre du fils alors que lui sortait Tableau de famille car nous avons alors fait pas mal de festivals ensemble. C’est un homme extrêmement chaleureux, enthousiaste et qui a réputation – non usurpée, je vous l’assure – d’être un merveilleux directeur d’acteurs. Il a commencé comme assistant réalisateur de nombreux maîtres de l’âge d’or du cinéma italien Tous les acteurs italiens que je connais aiment ou rêvent de travailler avec lui.
Qu’est ce qui vous a séduit dans sa proposition de Pour toujours ?
L’opportunité de pouvoir incarner un type de personnages que j’adore comme l’héroïne de Fortunata de Sergio Castellito par exemple. Une mère imparfaite qui refuse de se soumettre aux diktats de la société. C’est toujours passionnant de chercher des manières différentes de raconter la féminité. De sortir des clichés si puissants sur ce sujet en Italie. Avec en outre ici un défi à relever : la rendre très présente, y compris quand elle disparaît. Faire qu’on n’oublie jamais Annamaria pendant ses séjours à l’hôpital par exemple.
Et c’est réussi car vous avez décroché le prix de la meilleure actrice à l’équivalent des César italiens et pas celui du second rôle !
Honnêtement, j’ai été la première surprise quand j’ai été nommée dans cette catégorie mais c’est évidemment hyper flatteur pour mon travail
Comment avez-vous construit cette Annamaria ?
En m’appuyant d’abord sur les connexions que je peux avoir avec elle. Ou que j’ai pu avoir, plus précisément, parce que j’ai grandi et mûri depuis (rires). Cette capacité à cacher un mal- être intérieur derrière une apparence joyeuse. Annamaria est une femme forte dont on peine à voir les fragilités. Je partage aussi avec elle, même si j’aime ma fille et ma mère, le fait de ne pas placer la maternité sur un piédestal. Ces proximités m’ont aidé à trouver le chemin vers elle. Mais j’ai pu aussi m’appuyer sur mes expériences de comédienne sous la direction de Valeria Golino et Sergio Castellito qui, les premiers, m’ont offert des rôles qui n’étaient pas simplement la fille ou l’amoureuse du héros mais des héroïnes à part entière avec des points de vue singuliers sur le féminin. Et de tels personnages me paraissent essentiels car je suis intimement persuadée que l’imaginaire collectif passe par le cinéma et ses incarnations.
De quelles références Ferzan Özpetek vous a-t-il parlé pour Annamaria ?
Ferzan utilise en effet énormément de références, en particulier pour construire le look de ses personnages. Et les costumes ont tenu une place essentielle chez Annamaria. On a passé trois bonnes semaines là- dessus. Son obsession, c’était la beauté ! Il a tenu à ce qu’elle porte des tenues très colorées, très festives pour trancher avec la tragédie de ce qu’elle va vivre. Et pour parvenir à cela, il était comme possédé par Mina, la plus grande chanteuse italienne des années 60 qui reste encore extrêmement populaire, même si elle a fait ses adieux à la scène en 1978 en pleine gloire. Je chante même un de ses titres ! Et il se trouve qu’elle a composé une chanson spécialement pour le film. C’était le Graal pour Ferzan !
Comment se comporte t’il sur un plateau ?
Il donne le ton du film et de nos personnages. Il pourrait tous les jouer ! Chaque matin, sur le plateau, il réécrit des scènes pour aller encore plus loin que son scénario. Il considère un film comme une matière en perpétuelle évolution. Et, de mon côté, j’ai eu le sentiment qu’il cousait une robe sur mesure sur moi. Ferzan n’a rien du metteur en scène qui surplombe ses comédiens : il a envie d’être surpris par eux, de découvrir des choses avec eux. C’est ce qui explique qu’à ma première vision du film, j’ai moi- même redécouvert énormément de choses par rapport au scénario que j’avais lu et même aux scènes que j’avais tournées. J’en suis sortie profondément troublée. Ferzan a ce talent de faire travailler votre imaginaire aussi bien comme acteur que comme spectateur.
Est- ce qu’on vous reverra bientôt en France où votre dernière apparition remonte à 2014 avec le Saint- Laurent de Bertrand Bonello ?
J’adorerai car je me sens tellement à chaque fois bien accueillie chez vous. Et j’adore ce lien que j’ai depuis des années avec le cinéma français et ceux qui le font. J’ai un projet mais rien n’est encore signé. En ce moment, je termine la post- production du premier long métrage que j’ai réalisé Marcel. J’ai franchi la ligne ! J’y prolonge le court que j’avais signé en 2020, Being my mom. Et j’y retrouve les mêmes interprètes Alba Rohrwacher et la jeune Maayane Conti. L’histoire d’une mère et d’une fille qui se promènent avec une valise… C’est mystérieux, non ? J’ai hâte de pouvoir le montrer.
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