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Pour ton premier film, tu reconstitues le trio de ton court-métrage La Règle de trois. Tu avais l’impression de ne pas avoir fait le tour du sujet ? La règle de trois était une commande de Serge Catoire, directeur de production sur Un été brûlant (Philippe Garrel, 2011), qui s’était marré en voyant le duo que je formais avec Vincent Macaigne dans la vie. Ensuite, Anne-Dominique Toussaint m’a demandé d’écrire un long métrage sur ces trois personnages. J’ai alors repris l’argument des Caprices de Marianne d’Alfred de Musset que j’avais adoré jouer au théâtre. J’ai écrit un développement tragique que Christophe (Honoré, le coscénariste) a retoqué en me disant que la fin notamment était trop « plaquée ». Lui voulait une pure comédie. Au final, c’est une sorte de tragédie douce, un marivaudage qui emprunte aussi à la tradition du cinéma populaire français, des Apprentis à Marche à l’ombre.Faire un film avec un pote et une ex, est-ce plus simple ou plus compliqué ?Plus facile ! Filmer quelqu’un, c’est très tendre, presque un geste d’amour. C'est d'ailleurs, je pense, ce qu’on admire chez Cassavetes, cette absence de filtre entre le metteur en scène et les acteurs, comme un piano qui sonne parfaitement juste.Le triangle amoureux est une constante de ta filmo. Est-ce toi qui l’inspires ?Je dirais que c’est une sorte de hasard objectif... Moi qui pensais encore récemment que le ménage à trois était très français, je suis tombé sur L’entraîneuse fatale de Raoul Walsh. Extraordinaire. Sans oublier Y tu mama tambien d’Alfonso Cuaron. Ça m’a rassuré de voir que le thème était international. Faire du franco-français, c’est toujours un peu déprimant.Dans ton film, par rapport à tes courts et à ce que tu véhicules, on a l’impression que tu prends tes distances avec la Nouvelle Vague. Il n’y a pas de dialogues littéraires ni de voix-off distanciée...On a trop tendance à assimiler la Nouvelle Vague à son enveloppe : en gros, on en a gardé le noir et blanc et la voix-off. La Nouvelle Vague, ça veut dire aussi sortir des studios, inventer des formes…Rohmer, c’est quand même très littéraire…Certes.Et tu ne peux pas nier que Christophe Honoré et toi incarnez tout de même quelque chose de ce mouvement.Film d’appartement, hommes-femmes mode d’emploi… Oui, c’est aussi un peu ça la Nouvelle Vague. J’assume. Mais sur la forme, c’est autre chose. En tournant Les deux amis, je me suis dit que j’allais faire un Sautet de série B, très cinéma français des années 80.Tu te réfères beaucoup aux années 80. Le présent ne t’inspire pas ?On est le produit de ce avec quoi on a grandi. On remixe nos airs d’enfance en quelque sorte, comme les couturiers retravaillent des styles d’il y a 30 ans. Quand j’étais jeune, on avait un deal avec mon père : je lui montrais des films de ma génération, lui de la sienne ; La Cité de la peur vs Hélas pour moi ! À l'époque je pensais que c'est lui qui gagnait au change… Avec les Godard, les Truffaut, les Skolimowski, j’ai noué très vite un rapport intime de pur plaisir, de pure sensation. Du coup, en devenant acteur, je n’ai jamais eu comme trip de jouer un super-héros.Tes rôles, parlons-en. Tu joues souvent le mec déplaisant, un peu misogyne…Mais je n’arrête pas de me faire quitter ! (rires) On m’a souvent donné des emplois de jeunes premiers tourmentés, c’est vrai, des types qui me ressemblent, que je côtoie. J’ai vu mon père tourner beaucoup de films autobiographiques, presque des journaux intimes. Je pensais alors que l’artifice et la fausseté avaient moins de valeur qu’un geste plus personnel. En interprétant Jacques de Bascher dans Saint Laurent, j’ai découvert que jouer masqué procurait un plaisir aussi intense. C’est mon bad guy à la Marvel ! Dans Mon Roi, j’ai encore accentué la composition avec ce type pas très chic (il y joue le beau-frère de Vincent Cassel). J’avais vraiment envie de faire rire Maïwenn. On s’est tous trouvés sur notre envie de jouer des personnages un peu veules, attachants, chiants…Tu en es à un stade de ta carrière où on ne sait pas si tu vas devenir le nouveau Mathieu Amalric ou si tu vas rester l’héritier de Jean-Pierre Léaud. Nous, on a envie de te voir en méchant dans James Bond ou dans des comédies populaires.J’ai joué tant que ça en costumes ? (rires) Figure-toi que je mène aussi cette réflexion. Sinon, j’ai très envie de réaliser des clips en ce moment, de travailler l’éclairage. J’adore Subway de Besson, avec tous ces plans « boîte à lumière », les premiers Carax… Le cinéma naturaliste a tendance à m’ennuyer désormais. J’aimerais développer un style expressionniste autour de sujets sentimentaux. Interview Christophe NarbonneLes Deux amis de Louis Garrel avec Golshifteh Farahani, Vincent Macaigne, Louis Garrel sort ce 23 septembre dans les salles