Les winners Pourquoi certains cinéastes venus du « live » réussissent dans l'animation ? La réponse la plus évidente est qu'ils ont des prédispositions. Quand Robert Zemeckis (Retour vers le futur) plaque tout pour se lancer dans le film animé avec Le Pôle express (certes sur une technique hybride à base de prises de vue réelles), c'est aussi parce que depuis toujours il rêve de Disney. Roger Rabbit annonçait déjà ce désir de faire cohabiter les deux techniques, au travers d'un monde où les hommes et les toons vivraient ensemble. Mais l'amour pour le genre suffit-il pour réussir ? Dans le cas Zemeckis, Beowulf et surtout Le drôle de Noël de Scrooge ont prouvé que la technologie donnait une vraie liberté créative au cinéaste, en dépit de son effet morbide sur les visages. Problème que son confrère et ami, Steven Spielberg, règle avec Tintin, dans un film qui lui aussi rappelle que l’œuvre de son auteur, depuis au moins Indiana Jones, a parfois côtoyé l'animation. La mise en scène de cette adaptation d'Hergé devient ainsi un pur prétexte à une débauche délirante et ultra rythmée de mouvements de caméras quasi impossibles autrement. Même chose pour Wes Anderson, qui avec Mr Fox transforme son cinéma fait de miniatures aux allures de jouets, en film d'animation débouchant sur un final aussi speed que génial ; ou encore de Zack Snyder qui avec Le royaume de Ga'Hoole pousse les effets plastiques de 300 dans leurs retranchements en traitant l'image comme matière malléable à l'envie. Si dans chacun des cas l'animation sert plus à donner un souffle débridé à la mise en scène que creuser une histoire, l'expérience se révèle à chaque fois intéressante, différente de ce que les films d'animation traditionnels peuvent proposer. Faut-il voir dans ces réussites une forme d'aboutissement ou un signe que le cinéma évolue ? Les inclassables Il y a ceux qui réussissent, ou se plantent, mais aussi les autres plus difficiles à cerner. Non qu'ils échouent, bien au contraire, plutôt ils surprennent ou brouillent les cartes. C'est le cas du japonais Mamoru Oshii, qui avec Stray Dogs Kerberos Panzer Cops, Avalon ou Assault Girls s'est plusieurs fois essayé au live, tout en tournant à côté des films d'animation comme le célèbre Ghost in the Shell. Chez lui, la technique traditionnelle sied d'évidence moins bien à sa créativité, mais pour des raisons d'ordre essentiellement économique. L'animation, dont on sait l'usage massif au Japon, se révèle donc plus évidente, plus simple pour matérialiser les univers de science fiction qu’affectionne l'auteur. Pourtant, que ce soit avec l'une ou l'autre des techniques, Oshii ne modifie pas radicalement sa mise en scène, connue pour sa lenteur pas forcément contemplative. Elle semble plutôt un autre moyen d'expression, qui ne s'opposerait pas et dirait ainsi que peu importe la manière, tout se vaut. Même son de cloche pour l'adaptation animée d'Histoires de fantômes chinois par Tsui Hark. Célèbre pour sa mise en scène délirante et sans limites, le cinéma du cinéaste hongkongais se révèle autant à sa place dans l'animation (puisque tout devient possible), qu'à la fois décevant car en deçà de ce qu'il réalise en prises de vue réelles. Si on en sort enthousiasmé par tant d'idées de filmage, difficile de ne pas trouver l'original (d'Histoires de fantômes chinois, au départ un film live), meilleur et finalement plus fou d'un point de vue visuel. Dans un style à l'opposé, le singapourien Eric Khoo surprend davantage avec Tatsumi, biopic du dessinateur de manga Yoshihiro Tatsumi, pionnier de la BD japonaise qui donna naissance à un art séquentiel adulte dont les préoccupations firent écho à la Nouvelle vague japonaise après la guerre. Si toute l'affection du cinéaste pour le mangaka transparait dans le film, c'est surtout son parti pris de lier l'évolution stylistique de Tatsumi dans le temps de son histoire personnelle et celle du film, qui étonne et révèle un film aussi intelligent qu'audacieux et singulier. Les losers Qui dit engouement pour l'animation, dit forcément déchets. Curieusement, la plupart viennent de chez nous. Peut-être parce que si la France peut compter sur Paul Grimault (Le roi et l'oiseau), souvent cité par Hayao Miyazaki (Le Voyage de Chihiro) comme sa principale influence, nous n'avons pourtant jamais eu de grands films de référence. S'agirait-il donc d'un manque de savoir faire ? Quand on connait les talents des étudiants diplômés de l'école des Goblins à Paris, ou quand on voit la qualité de certains courts métrages, on se dit que le problème est ailleurs. Malgré ses millions d'entrées au compteur, difficile par exemple de s'émerveiller devant les Minimoys de Luc Besson. La faute ici moins à la technique qu'à une intrigue sans âme qui finalement plombe sa mise en scène. L'auteur du Grand bleu n'a jamais brillé par la grandeur de ses scénarios, ça se voit. Dans un registre supérieur mais certainement pas mémorable, Zarafa de Rémi Bezançon (Le premier jour du reste de ta vie) imagine un conte africain à la fois mignon et sérieux qui dans un style fait main surclasse bon nombre de productions actuelles. C'est joli techniquement, mais l'influence de Miyazaki, un peu trop voyante, et l'incapacité du film à choisir son récit entre l'aventure inoffensive et le portrait plus dur d'une France coloniale, laisse l'ensemble naviguer entre deux eaux sans marquer de réel parti pris. Mais ces essais sont loin d'être les pires face au Magasin des suicides de Patrice Leconte. Dernière tentative en date de nos équipes gauloises, cette adaptation du livre de Jean Teulé résume tous les échecs ou semi-ratage de ses confrères : un bon film d'animation tient moins à son staff, même si ça compte, qu'à la personnalité de celui qui le dirige. Les Américains ont prouvé qu'un bon metteur en scène de film live est aussi bon en animation. Il faut pour réussir une intelligence visuelle de la narration, ce qui lorsque l'on regarde la filmographie de Patrice Leconte (Les bronzés, Ridicule), n'est pas son point fort. Avec son très généreux budget de 12 millions d'euros, ses équipes techniques françaises, belges, canadiennes, et ses quatre et longues années de tournage, le film avait pourtant toutes les cartes en mains pour réussir. En vain, laborieusement mis scène, mal rythmé, répétitif, reposant sur un univers visuel sclérosé et bourré d'auto-citations inutiles, Le Magasin des suicides (3D s'il-vous-plait) prouve qu'on a beau travailler d'arrache-pied avec des équipes de pointe, l'essentiel est ailleurs. Finalement, tout le monde peut faire un film d'animation, à condition de savoir faire du cinéma. Jérôme Dittmar
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- Le Magasin des suicides : n'importe qui peut-il faire de l'animation ?
Le Magasin des suicides : n'importe qui peut-il faire de l'animation ?
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