Au milieu des années 60, l'Indonésie connut un véritable génocide perpétré par des gangsters devenus assassins à la solde du pouvoir paramilitaire. Parmi eux Anwar Congo, un ancien exploitant de cinéma. The Act Of Killing est un documentaire hallucinant qui revient sur ces actes via un concept fou : le cinéaste Joshua Oppenheimer a proposé à cet assassin et ses collègues de l'époque de (re)mettre en scène, à la manière de séries B, certains de leurs crimes. Pas comme le faisait Rithy Panh dans S21 (avec recul et point de vue objectif) donc, mais en les infusant dans un film technicolor à leur propre gloire. Objet de cinéma fascinant qui questionne le rapport au réel autant qu'aux images et à la propagande, Act of Killing est un doc qui interroge autant la représentation du Mal que la place du cinéaste - entre théoricien brillant et apprenti sorcier. Interview.Les films dans le film de The Act of killing floutent les concepts de fiction et de réalité...Je ne raisonne pas vraiment en ces termes. Je ne me définis pas en tant que réalisateur de documentaire. Je suis un cinéaste de '"non-fiction", un réalisateur en quête de vérité. C'est un cliché, mais un cinéaste recrée une réalité dès qu'il filme qui que ce soit, sauf s'il s'agit d'un évènement sportif ou une campagne politique - dans ces deux cas, la réalité est déjà mise en scène.Justement, The Act of Killing aborde la fascination qu'ont souvent eue les régimes fascistes et les dictateurs pour le cinéma. Comment l'expliquez-vous ?Il n' y a rien d'illogique à ce que certains leaders politiques soient fascinés par un spectacle qui leur renvoie une image de héros charismatique. Le cinéma est à la fois un outil pour les régimes dictatoriaux et une source d'inspiration. Mais les personnages de The Act of killing, ne sont pas des dictateurs, et celui qui s'en rapprocherait le plus est celui qui est à la tête de la junte paramilitaire. Pourquoi a-t-il voulu à tout prix être dans ce film ? Pourquoi y raconte-t-il des choses aussi grotesques ? A cause de sa vanité, de son orgueil. S'il se lâche autant face caméra, c'est parce qu'il est convaincu que tous ceux qui font ce films, sont à sa botte. Il ne lui est jamais venu à l'esprit que je laisserai dans le montage, certaines atrocités qu'il profère. Lorsque Adolf Hitler est filmé par Leni Riefenstahl, il peut parler librement puisqu'il est convaincu qu'elle coupera au montage ce qui pourrait lui porter préjudice.Est-ce que l'un des buts du film était de créer des archives officielles de ce qui n'a pas pu être filmé à l'époque ?Oui. Une des scènes du film est d'ailleurs très claire sur ce point. On y reconstitue l'un des pires massacres commis par ces tueurs, celui de Kampung Kolam. On a casté les enfants, les proches des criminels pour jouer les victimes, avec qui on a construit une réplique de ce village. Au moment de tourner, j'ai très fortement ressenti que c'était mon devoir de cinéaste de créer une espèce de séquence iconique témoignant d'un génocide dont il n'existe pas d'images officielles. Un peu comme Nuit et Brouillard le fait en filmant l'entrée du camp de Birkenau. Et en même temps, j'étais conscient qu'il était pervers de créer cette fausse archive, parce qu'il n'y a rien de plus inimaginable qu'un génocide : comment représenter à l'écran son horreur ?Est-ce que ce tournage a affecté votre sensibilité de spectateur ? Comment regardez-vous aujourd'hui un film de guerre ou percevez des personnages héroïques et célébrés par le public comme, par exemple Jack Bauer ?(Silence)... Je ne regarde jamais de film de guerre. Parce que je me sentirais mal à l'aise. Pendant le long tournage de The Act of Killing, lors des pauses où je revenais en Angleterre, j'étais conscient que mon propre gouvernement célébrait la torture, que des G.I's prenaient des photos à Abou Ghraïb sur lesquelles ils souriaient tout en humiliant des prisonniers. Plus dingue encore, certains militaires se sont inspirés de Jack Bauer pour torturer à Guantanamo, parce qu'ils regardaient 24h chrono. Il existe des mémos envoyés à Donald Rumsfeld où il est proposé de reprendre des techniques utilisées dans les épisodes. De la même manière qu'Anwar a repris des méthodes pour assassiner qu'il avait vu dans des films des années 60. C'était le monde où je vivais pendant que je tournais The Act of killing. Il n'y avait donc aucun moyen d'en sortir.Finalement le plus troublant c'est que ne cherchez pas a présenter Anwar Congo ou les autres tueurs comme des psychopathes mais que vous préférez affirmer la face obscure de l'espère humaine. Qu'est ce que ce film vous a appris sur votre propre monstruosité ?J'aimerais croire que je ne tuerai jamais quelqu'un pour le pouvoir ou de l'argent, mais je sais que j'ai l'extrême privilège de ne jamais avoir à le vérifier. Montrer dans The Act of killing qu'Anwar et ses amis sont des êtres humains qui ont commis des actes atroces plutôt que des monstres sans humanité, est un message aussi terrible que plein d'espoir. Le jour où on l'on reconnaîtra que nous ne sommes pas si éloignés que ça d'eux, peut-être entreverra-t-on une porte de sortie en comprenant certains mécanismes.Recueilli par Alex Masson
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- Joshua Oppenheimer, cinéaste de The Act Of Killing : "J'aimerais croire que je ne tuerai jamais quelqu'un pour le pouvoir ou de l'argent"
Joshua Oppenheimer, cinéaste de The Act Of Killing : "J'aimerais croire que je ne tuerai jamais quelqu'un pour le pouvoir ou de l'argent"
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