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Le plus gros succès de l’année 76, c’est bien sûr Rocky et ses 117 millions de dollars de recettes qui mirent KO le box-office US. Pourtant, impossible de retenir ce film-là pour entamer notre série d’été sur les blockbusters de légende. Parce que si les opus suivants de la saga Balboa devinrent des emblèmes absolus du genre « blockbuster » (productions pétées de thunes, bannière étoilée claquant au vent, B.O. en tête des charts, absence totale de prise de tête...), le premier volet en serait presque l’antithèse. La tête d’affiche était inconnue (Sylvester qui ?), le budget ridicule (moins d’un million), et le « setting » complètement déprimant… L’histoire de ce boxeur semi-illettré se gelant les miches à Philadelphie avait encore un pied dans une esthétique Nouvel Hollywood morose à la Jerry Schatzberg ou Hal Ashby. No fun.

 

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Non, le vrai blockbuster millésime 1976, pensé et marketé comme tel, c’était le King Kong du producteur Dino de Laurentiis – à la seule différence près qu’il sortit à Noël, le « summer blockbuster » n’étant pas encore devenu à ce moment-là un genre à part entière. Son budget était maousse (20 millions de dollars, l’un des plus gros de l’époque), la campagne promo intensive. C’était lui, le film que tous les kids voulaient voir cette année-là. Il faut dire que le poster imaginé par John Berkey, avec le roi Kong en équilibre entre les tours jumelles du World Trade Center, était sublime, surexcitant (et un poil mensonger, le look de la bête y étant assez éloigné à ce qu’il est réellement dans le film, Berkey ayant rendu sa copie avant d’avoir vu la moindre image).

Du strict point de vue de la bienséance cinéphile, certes, il était sans doute sacrilège de remaker le classique de Ernest Schoedsack et Merian C. Cooper, mais combien exactement pèse la bienséance cinéphile face à la promesse de voir un singe géant démolir Manhattan ? Dans les mois qui précédèrent la sortie, De Laurentiis fit monter la pression en teasant à mort le singe « robotisé » conçu par Carlo Rambaldi (qu’on ne voit au final que quelques minutes à peine dans le film, l’essentiel de la partition simiesque étant assuré par un Rick Baker costumé), et la garantie d’assister en direct live à l’éclosion d’une nouvelle star, l’ex top-modèle bombastique Jessica Lange - la vraie vedette du film, incontestablement.

Esthétiquement, historiquement, ce King Kong 1976 fait à sa façon la jonction entre deux époques – un an après Les Dents de la Mer, il confirme l’entrée du monster movie dans une ère nouvelle, où des budgets de catégorie A vont désormais être alloués à des sujets de série B. Mais il appartient aussi à un temps en train de vivre ses derniers feux, celui du film catastrophe, genre « proto-blockbuster » alors en voie de ringardisation expresse, bientôt balayé par la génération Star Wars / Superman – ce n’est d’ailleurs pas un hasard si De Laurentiis avait fait appel au réal’ John Guillermin, qui venait de signer le triomphal La Tour infernale.

 

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A part ça, il faut bien avouer que ce King Kong n’eut quasiment aucune postérité, à part une suite nanar (King Kong 2, 1986, starring Linda Hamilton) et les bons souvenirs laissés à ceux qui l’ont vu gamin. Le King Kong de Peter Jackson prenait bien soin de faire comme s’il n’avait jamais existé. Puéril et un peu tarte, le film a quand même ses moments – sa Skull Island décharnée et assez terrifiante, l’élégant score de John Barry, la coolitude de Jeff Bridges, l’aspect cossu de la prod, et l’émotion qui se dégage du visage de Kong quand il comprend qu’il ne va pas pouvoir conclure avec Jessica Lange… Mais le coup de génie absolu du film est sans doute sa tagline, un résumé génial de la rouerie éternelle des marchands de pop-corn : « The most exciting original motion picture event of all time. » « Original », oui, oui. S’agissant du remake d’un des films les plus célèbres de l’histoire du cinéma, fallait oser. 

Frédéric Foubert