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Trois lycénnes inventent des histoires qui pourraient devenir vraies. Le pouvoir des rêves sauvera peut-être le monde. C'est le beau message du film de Kôhei Oguri (L'Aiguillon de la mort) que l'on lit entre les lignes (et les images) car la juxtaposition et la confusion des univers lassent parfois la bienveillance du spectateur.
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- Fluctuat
On peut déjà parier sur le fait que La Forêt oubliée sera malheureusement un peu trop vite oubliée. Peu défendu à Cannes, le nouveau film de Kôhei Oguri (L'Aiguillon de la mort) est pourtant l'un des plus beaux films de l'année : rarement nous arrive une oeuvre dont la richesse (esthétique, narrative, thématique) atteint un degré si élevé.
Kôhei Oguri tourne peu. De sa filmographie à peine se souvient-on de la sortie discrète en 1996 de L'Homme qui dort. Pourtant, à voir La Forêt oubliée, on a la sensation de découvrir un cinéaste d'une puissance formelle injustement méconnue. Proche des Harmonies Werckmeister de Bela Tarr (pas que pour le motif de la baleine et la musique d'Arvo Pärt), La Forêt oubliée serait au plan ce que le film du cinéaste hongrois est au travelling, soit une composition picturale sidérante et où la fable fait place au récit. Comme chez Béla Tarr encore, le film de Oguri peu sembler difficile car il faut s'y investir, oser s'y perdre, passer l'hermétisme et l'intimidation de ses plans-tableaux successifs où toutes les proportions du cadre font sens. Devant cette oeuvre a priori complexe par la construction déliée de sa narration, il faut aussi lentement se laisser aller dans des méandres de métaphores pour découvrir des secrets, de profondes subtilités.La Forêt oubliée est le film d'un homme âgé, le film d'un sage prenant le temps d'observer un paysage et l'homme qui y vit. Curieusement, The Taste of Tea de Katsuhito Ishii en serait le pendant jeune, moderne, les deux films entretenant plus d'une connivence. Lié par une certaine forme de croyance dans la fiction et l'imaginaire, chaque cinéaste crée des lignes de partage et d'altération avec le réel au service d'une harmonie entre les âges. Si chez Ishii c'est par la famille qu'apparaissent les fantasmagories (individualisées), chez Oguri, dès les premières scènes, cette croyance dans l'imaginaire est posée de façon globale et collective : trois jeunes filles s'amusent à se raconter des histoires fantastiques qui bientôt viennent altérer, pénétrer la réalité d'un village où jeunes et adultes semblent vivre chacun dans leur monde.La différence fondamentale entre Ishii et Oguri tient à ce que La Forêt oubliée témoigne de ses ambitions métaphysiques (ce qui le rapprocherait de Béla Tarr). Imprégné du panthéisme shinto, Oguri situe la nature au centre des sujets, elle est entre, le lien et la mémoire des hommes, ce qui sert à la réconciliation voire à la réunion inter et trans-générationnelle (découverte de cette forêt oubliée donnée par le titre). Elle est ce qui rappelle la cohabitation des hommes en son sein, telle une ligne végétale intemporelle réunificatrice. La Forêt oubliée est une oeuvre sur le fil des âges, de la jeunesse et ses utopies, ses rêves, à la vieillesse et sa conscience du temps passé faisant le lien avec le présent. L'imaginaire y est une puissance unificatrice et collective, comme dans cette scène où une jeune fille écrit le mot « rêve » sur le sol dans une langue oubliée : le rêve est ce qui abrite et crée le monde, il est mémoire et possible du monde, moment présent et à venir contenu dans une immédiateté perpétuellement reproductible pour tous. Dans La Forêt oubliée, on s'invente des histoires, on raconte l'histoire de sa vie, on passe de l'imaginaire au réel jusqu'à que les frontières s'effacent et que les hommes se réunissent.La Forêt oubliée serait donc une sorte d'expérience extatique. Par sa force contemplative, sa lumière ciselée, ses matières pénétrantes où chaque plan nous inonde d'une spiritualité lumineuse proche de l'icône (l'image est plus forte que nous, elle nous aveugle presque) ; par la façon subtile dont le film distille une narration où le plan et le cadre font eux-mêmes montage ; par sa façon de faire de l'espace un habitat enfin, La Forêt oubliée nous propose un regard d'une densité et beauté si rare que nous ne sommes pas prêts de l'oublier.La Forêt oubliée
Un film de Kôhei Oguri
Japon, 2005
Durée : 1h33
Avec Asano Tadanobu, Kishibe Ittoku, Hirata Mtsuru...
Sortie salles France : 28 décembre 2005[Illustrations : La Forêt oubliée. Photos © Pyramide Distribution]
Sur Flu :
- Lire la chronique des Harmonies Werckmeister (Bela Tarr, 2002)
- Lire la chronique de The Taste of Tea (Katsuhito Ishii, 2003)Sur le web :
- Consultez salles et séances sur le site Allociné.fr