H6
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Dans ce documentaire impressionnant, la jeune réalisatrice franco-chinoise montre le quotidien d'une demi-douzaine de patients de l'hôpital numéro 6 de Shangaï.

C'est un hôpital tentaculaire. Plus de deux millions de patients se croisent chaque année dans l'hôpital numéro 6 de Shangaï. Ye Ye, réalisatrice franco-chinoise y a planté ses caméras pour suivre six patients au destin différents. Il y a une enfant qui, alors qu'elle jouait dans la rue, s'est fait écraser la main par un bus ; une jeune ado qui se remet d'un terrible accident de voiture, veillée par son papa qui chante dans les couloirs ; un paysan qui après être tombé d'un arbre s'est cassé la colonne vertébrale ; un homme d'âge mur qui rejoint l'hopital après s'être cassé le genou et une vieille dame gardée par son vieux mari. Le documentaire montre la détresse psychologique de ces malades, leur misère sociale aussi, et les épreuves qu'ils traversent. Mais le film de Ye Ye ne verse jamais dans le misérabilisme. Elle montre au contraire l'extraordinaire force de résilience de ces gens, leur manière de se remettre debout après avoir été renversé par la vie. Poétique, drôle, touchant, émouvant... H6 est une photographie d'un lieu qui, à un niveau symbolique, raconte aussi le rapport d'un peuple à la maladie, à la mort. A la vie donc. Rencontre avec la jeune documentariste.     

D’où vient l’idée de H6 ?
Tout part d’une expérience personnelle. Depuis 15 ans je vis en France. Il y a cinq ans, j’avais peu de travail, je ne savais plus comment faire pour rester ici; je me posais beaucoup de questions. Cette crise s’est traduite physiquement : je suis tombée malade et j’ai été hospitalisée. Pendant cette hospitalisation, je me suis rendu compte que je ne réagissais pas comme les français face à la maladie. J’étais déterminée, jamais abattue. J’ai mis cela sur mes origines chinoises, et j’ai beaucoup réfléchi à cela. Progressivement, je me suis dit que j’allais faire un film sur ce sujet. Pour essayer de comprendre pourquoi j’avais réagi si différemment. En sortant de l’hôpital, je suis retourné en Chine et j’ai demandé autour de moi comment faire un film sur ce sujet. L’un de mes proches m’a proposé de travailler sur une série télé documentaire qui était sur le point de commencer dans l’hôpital numéro 6. Et c’est cette série qui m’a permis de nourrir mes recherches. 

Pour bien comprendre : l’idée c’était de travailler sur le système hospitalier ou sur une émotion ? 
Ce n’était pas l’organisation ni le système qui m’intéressaient. J’étais un peu désordonnée psychologiquement à l’époque - je sortais de l’hôpital comme je vous ai dit. Mais dès le début ce que je voulais capter c’était la vie. La vie malgré tout. En filmant H6, j’ai compris à quel point le rapport à la mort et à la médecine est radicalement différent entre les occidentaux et les chinois. Je suis une chinoise et une part de mon corps réagit selon des codes, des mécanismes psychologiques très particuliers. Je l’avais oublié à force de vivre à l’étranger. Dans cet hôpital, j’ai croisé des tas de personnes, toutes très différentes. Mais au fond, leur philosophie est identique. Ils ont un pessimisme joyeux. Ils sont joyeux mais avec un fond de mélancolie amère. L’hôpital fonctionne comme un microcosme de la société chinoise d’aujourd’hui. C’est un organisme gigantesque, qui avance très vite. Cette machine là doit constamment trouver son équilibre. Et c’est ça que je voulais montrer. 

Il y a d'ailleurs une part allégorique dans le film : quand vous filmez les déplacements de ce monsieur au genou cassé qui veut rejoindre l’hôpital, c’est presque une métaphore d’un pays qui ne s’arrête jamais. 
Je suis contente que vous en parliez : je voulais montrer comment les chinois, face à une situation critique, retrouvent l’équilibre. Ils ont des rythmes différents, des méthodes de récupération différentes, mais ils se relèvent toujours. Et effectivement, le monsieur au genou cassé avance. Il avance lentement, il réfléchit, mais il avance sans s’arrêter. Pour moi c’était le fil conducteur du film. C'est un homme est très stable, très motivé. Au fond, chacun de mes personnages devaient raconter des choses sur la Chine et sur la manière dont ce pays immense trouve son équilibre.   

Comment avez vous choisi les personnes que vous alliez suivre ? 
Pendant que je tournais la série documentaire, j’ai rencontré beaucoup de gens. Et j’ai commencé à réfléchir au squelette de mon film. Je voulais une coupe de la société, donc des personnages d’horizons différents. Je voulais un enfant, un ado, un adulte et un vieillard. Il fallait qu’il y ait un fermier, des gens de la classe moyenne, des urbains comme des paysans. Et chaque personnage devait amener des histoires différentes. Le vieux couple montre l’amour, le papa chanteur et sa fille racontent le deuil et ainsi de suite… 

Vous aviez un script ? 
Oui, j’avais un squelette. Il fallait que ce soit un peu écrit parce que je ne voulais pas d’explications. Pas de discours et pas de voix off. Il fallait que ce film parle d’expériences. Par ailleurs je cherchais à éviter tout pathos. Je voulais qu’il y ait de la joie dans le film - c’est passé par la lumière, les choix des musiques…

Vous savez ce que sont devenues les personnes du documentaire ? 
Oui : le paysan avec la colonne cassée est mort quatre ou cinq mois après. La fille du papa chanteur fait des études de médecine. La petite fille va bien - et sa main guérit. Et le monsieur au genou cassé continue sa vie. A son rythme.