Le réalisateur Just Philippot nous livre son mode d’emploi.
Virginie, une mère célibataire, galère à élever des sauterelles comestibles. La solution? Les nourrir de sang humain pour les transformer en super-sauterelles... La Nuée aurait pu muter en nanar, mais le réalisateur Just Phillipot a réussi à garder les pieds sur terre.
Sorti au cinéma en juin 2021, le film est programmé ce soir sur Arte. A ne pas manquer.
La Nuée : du cinéma de genre made in France élégant et efficace [critique]La Nuée : comment faire un film de genre avec des sauterelles ?
En faisant pousser La Nuée en laboratoire
La Nuée, histoire d’une mutation, est lui-même issu d’une expérience. "J’ai fait partie des premières résidences SoFilm autour du cinéma de genre, créées par Thierry Lounas", explique Just Philippot, 37 ans. "C’était un vrai laboratoire pour concevoir des films différemment, un environnement de techniciens (musiciens, responsables VFX) que tu rencontres normale- ment assez tard lors d’un projet. J’y ai écrit et tourné un court métrage, Acide, qui a très bien marché et qui a fait le tour des festivals." Thierry Lounas s’est alors dit qu’un scénario issu du même laboratoire, La Nuée, signé de Franck Victor et Jérôme Genevray, se connecterait parfaitement à l’univers du jeune réalisateur. Une rencontre avec Lounas et Manuel Chiche (coproducteur et distributeur via The Jokers) emporte la décision : Just Philippot tournera La Nuée.
En réécrivant sans vouloir copier les Américains
Sans être crédité au scénario, Philippot y apporte quelques modifications, dans le respect de la structure initiale. "Mais je ne devais pas me tromper sur mes sensations. Par exemple, je suis arrivé en me posant la question du nombre de sauterelles. Dans le script, il y avait des centaines de milliers d’insectes, en liberté dans un dôme... Et on m’a donné environ 5000 sauterelles, je devais me débrouiller avec. (Rires.) Je me suis demandé comment on pouvait retranscrire ça. C’est là la différence, le déclic : dans le scénario d’origine, l’héroïne était très à distance de son boulot, elle était spectatrice, on ne voyait pas comment elle opérait. Je me suis dit non, c’est un film sur le travail, il fallait montrer comment elle le subissait au quotidien. Par conséquent, il a fallu réinventer l’espace où Virginie exerce. J’ai dessiné l’environnement technique, la chaîne de travail. Ça a été une forme de réécriture. Je voulais croire au film, le rendre probable. Réaliste. Ici, la catastrophe n’est pas provoquée par un Gremlin acheté dans une brocante qu’on fout sous l’eau ! Il fallait se mettre au niveau des personnages, le spectateur doit avoir l’impression de les connaître. Ce sont de vrais gens, avec des problèmes très actuels : comment faire bouffer tes enfants dans un monde comme le nôtre ? Tout ça nous éloignait d’un modèle de genre américain. De toute façon, comment pouvait-on coller aux Américains quand on tourne près d’Agen, dans le Lot-et-Garonne ?"
En assumant un propos politique
"J’ai vraiment voulu donner à Virginie le rôle de dernier rempart : elle n’a pas le droit d’échouer, à la fois en tant que chef d’entreprise et mère au foyer", affirme le cinéaste. "Ce n’est pas une fille d’agriculteurs. Elle utilise une méthode d’élevage qu’elle a obtenue en ligne via l’Amérique du Sud..." Le message politique du film est clair : l’état d’esprit autoentrepreneurial nous bouffe jusqu’au sang. "Aujourd’hui, tu n’es plus salarié, tu es autoentrepreneur, tu factures ton travail. Partout dans le monde. Uber, Amazon... C’est devenu un état d’esprit."
En respectant les insectes
Mis à part Suliane Brahim et sa performance habitée, les sauterelles mutantes sont les vraies héroïnes du film. Le défi pour les transformer en cannibales féroces a été de ne pas en faire des monstres. "On avait environ 4000 sauterelles en cycle. Elles avaient une durée de vie de quinze jours : les sauterelles mortes étaient congelées pour être utilisées plus tard pour les scènes où elles s’entre-dévorent. Notre animalier, Pascal Trévi, était génial (il a aussi travaillé sur Petit Paysan). Les seules fabriquées sont en résine, pour les gros plans des mutations, l’œuvre de Pierre-Olivier Persin. Il n’y a pas d’animatroniques : pour les scènes où les sauterelles se mangent, on a filmé des vraies qui bouffent des résidus de banane sur les mortes. La banane, ça les rendait folles! (Rires.) Sinon, on a essayé avec des sauterelles fabriquées de 50 ou 60 cm dans un décor de vivarium agrandi, mais ça faisait trop cheap par rapport à un véritable gros plan... Les vraies sauterelles, ce n’est pas galère à utiliser. Tu les prends et tu les poses comme des magnets. Pour les exciter, tu chauffes leurs pattes, pour les calmer, tu les refroidis. Mais ce n’est pas méchant. En groupe, ça fait une impression étrange : elles font un bruit dingue et puent le chien mouillé... Mais ce n’est pas parce que c’étaient des sauterelles qu’on allait les maltraiter. On a été très respectueux. Ce sont des insectes très pratiques, en fait. Très gentils !"
En faisant confiance à la filière agricole
Grave et sa vétérinaire cannibale, Petit Paysan et sa pandémie bovine, maintenant La Nuée et ses sauterelles folles : le cinéma de genre français est peut-être en train d’être sauvé par le monde agricole. "Aujourd’hui, il y a une vraie question du rapport à la terre. Ces gens sont au front, en première ligne. Ils nous nourrissent. Avec Petit Paysan ou La Nuée, on touche le cœur de notre façon d’être, de l’enjeu des ressources d’hier et de demain", insiste le jeune réalisateur qui considère nos agriculteurs comme des héros – de cinéma et du quotidien. "Quand je vois un mec seul sur son tracteur dans la Beauce, face à des kilomètres de terrain, je me dis que c’est un héros. En même temps, tu te demandes comment il fait, quels produits il utilise sur ses terres et ce qu’il ingurgite... Mais je ne veux pas désigner de coupables ou de victimes, on est tous dans la même merde."
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