On ne sait pas trop de qui Lars Von Trier a voulu se moquer avec The House that Jack Built, présenté hors compétition à Cannes, à part de lui-même.
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Le voilà comme un croquemitaine sur la Croisette : Lars Von Trier et son film de serial killer, précédé d'une réputation assez rigolote : le programme cannois lui a collé un avertissement aux personnes sensibles, et une centaine de personnes visiblement mal à l'aise ont quitté la salle le soir de la première. Pourtant, The House that Jack Built est loin d'être aussi choquant que promet sa promo : des films cannois du cru 2018 comme Les Oiseaux de passage (où un homme mange de la matière fécale) ou l'extraordinaire Border ("blasphématoire", comme on vous le dit là) auraient aussi mérité un avertissement. Du point du vue du choc, The House that Jack Built comporte quelques scènes choquantes mais en-deçà du niveau d'un torture porn comme Saw. Un non-événement, donc, on a vu bien pire. Voilà donc l'histoire de Jack, un tueur en série qui raconte cinq "incidents" marquants de sa vie à une espèce de confesseur invisible nommé Monsieur Verge. Rien de priapique là-dedans, il s'agit d'une référence à Virgile, le poète romain qui guide Dante en Enfer dans sa Comédie. Au cours de ces cinq "incidents", qui tournent tous autour d'un meurtre à chaque fois différent et plus ou moins répugnant, Jack -architecte obsédé par la construction de sa maison parfaite, et incarné par un Matt Dillon très pro- va exposer une théorie sur le meurtre, le mal et l'art. Sous forme de dialogue en voix off et de compilation d'images. Voilà pour la structure.
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Et le fond est bien banal. Lars Von Trier se contente d'étaler d'interminables banalités sur le parallèle entre l'acte de tuer et l'acte artistique. Une philosophie consternante qui atteint son summum lors d'une dissertation -images d'archives à l'appui- sur les dictateurs du siècle dernier qui, au fond, ne seraient pas de grands artistes incompris ? Et un génocide, n'est-ce pas la plus grande des œuvres d'art, quand même ? On pourrait presque pardonner Lars si la moitié de son film ne ressemblait pas à une grosse recherche Google Images : lorsque Jack parle du poème de William Blake Le Tigre et l'agneau, devinez ce qui apparaît à l'écran : des images de tigres et d'agneaux. S'il fallait une œuvre sur les liens infernaux entre l'architecture, William Blake et le meurtre en série, From Hell a déjà fait tout le boulot nécessaire (on soupçonne même LVT d'avoir piqué beaucoup de trucs à la BD définitive d'Alan Moore sur Jack l'Eventreur). Le métrage est tellement explicite que Monsieur Verge lui-même se met parfois à moquer Jack, comme si Lars Von Trier, avant de troller le public, se moquait surtout de lui-même, et de sa volonté de tout expliquer et de tout raccorder comme dans Nymphomaniac. The House that Jack Built est-il un autoportrait d'un cinéaste qui se déteste ? La blague est trop longue. L'épilogue mystique tente enfin d'investir un territoire de cinéma plus vaste et plus épique comme Melancholia ou Antichrist mais le film semble complètement épuisé à ce moment-là. Dans cette vision de cinéma où l'art est un grand marabout-bout de ficelle, LVT tue tout mystère, toute poésie, tout cinéma en expliquant tout de façon tordue comme un professeur de biologie un brin frappé. Professeur Von Trier : voilà le nom d'un vrai Génie du Mal.
The House that Jack Built n'a pas encore de date de sortie française mais possède une bande-annonce :
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