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PHOTOS - Cannes 2009 : Gaspar Noé parle d'Enter the Void

LE LIVRE DES MORTS TIBÉTAIN

LE LIVRE DES MORTS TIBÉTAIN"L?idée d?Enter the Void remonte à très loin. Vers 18 ans, je lisais beaucoup de bouquins sur la vie après la mort, comme le <em>Bardo Thödol</em> (ou ?<em>Livre des morts tibétain</em>?). À cet âge-là, tu cherches à savoir s?il existe des dimensions parallèles auxquelles tu pourrais avoir accès. J?ai suivi des cours d?hypnose et d?autohypnose pour pouvoir me dédoubler astralement, mais je n?y suis jamais parvenu. Dans les années 90, j?ai même réalisé une fausse émission pour L??il du cyclone, sur Canal +, qui s?appelait <em>Une expérience d?hypnose télévisuelle</em>. Plein de gens l?ont prise au premier degré ! Je me suis même amusé à envoyer anonymement des VHS à des amis. Mathieu Kassovitz a flippé sa race ! Je me suis aussi livré à des exercices respiratoires qui peuvent aboutir à des hallucinations. Certaines personnes vont tellement loin qu?elles peuvent en oublier de respirer. "

Gaspar Noé parle d'Enter the Void

Huit ans après Irréversible, <strong>Gaspar Noé</strong> nous replonge dans un tunnel entre la vie et la mort. Avec Enter the Void, le cinéaste entraîne le spectateur dans un trip comateux hallucinatoire en vol plané, dont il nous livre la stupéfiante ? dans tous les sens du terme ? substance.<strong>PROPOS RECUEILLIS PAR STÉPHANIE LAMOME</strong>

LE CAUCHEMAR DE LA GRUE

LE CAUCHEMAR DE LA GRUE"Le truc le plus compliqué du tournage, qui était devenu mon obsession, c?était la grue : comment la placer et la déplacer dans le studio. Chaque nuit, je rêvais de cette girafe métallique, je la voyais coincée dans un espace trop petit ou flottant au-dessus de moi dans ma chambre d?hôtel. Pendant toute la durée du tournage, je ne me suis jamais défoncé. On me proposait un joint, je changeais de trottoir. On travaillait tellement d?heures par jour que lorsque je rentrais dans ma chambre d?hôtel, à 23 heures, j?étais si stressé qu?il fallait que je sorte boire un verre. Je n?ai jamais autant bu qu?à Tokyo. Comme je dormais trois heures par nuit, la journée, je percevais des distorsions visuelles ou spatio-temporelles. Soudain, je ne comprenais plus où j?étais ni qui j?étais. Je parlais à des gens et, d?un coup, j?apercevais des effets Kirlian (un halo lumineux), je voyais clairement leur aura se dessiner autour d?eux, comme à la fin du film dans le Love Hotel."

MORT ET RÉINCARNATION

MORT ET RÉINCARNATION"Je n?ai pas peur de mourir. J?ai juste peur d?abandonner les gens qui ont besoin de moi. Je suis athée mais, si je devais me réincarner, ce serait en moi-même. Je serais content de sortir du même ventre et de téter les mêmes seins. Et d?aller au cinéma avec mon père dès l?âge de 4 mois. Si c?était en animal, pourquoi pas en Moby Dick ? Il paraît que les baleines ont une mémoire colossale. "

AYAHUASCA

AYAHUASCA"J?ai pris un peu de LSD vers 18 ou 20 ans, mais c?est trop incontrôlable, tu ne mesures plus le rapport avec les gens. Les champignons, c?est rigolo, mais si tu surdoses, c?est compliqué, tu n?arrives même plus à acheter une baguette dans une boulangerie. De toute façon, au bout d?un certain temps, tu te lasses de te mettre toujours en boucle dans les mêmes spirales mentales. Aujourd?hui, les jeunes prennent de l?ecsta. Enter the Void ressemble un peu aux visions que tu peux avoir sous ecsta. Il n?y a pas si longtemps, je suis allé au Pérou avec <strong>Jan Kounen</strong>. En Amazonie, on trouve une plante, l?ayahuasca, qui contient du DMT, la molécule du rêve, que le cerveau sécrète au moment de mourir.J?en ai bu plusieurs fois. Tous les effets psychédéliques que l?on voit au début du film et à la fin, notamment Tokyo ressemblant à la ville de Tron, sont inspirés de visions obtenues sous ayahuasca. Tu peux aussi bien faire de très beaux rêves ? avoir l?impression de voler au-dessus de Las Vegas ? que des trips terrifiants."

CANNES

CANNES<em>"Entre le moment où on a appris que le film pouvait être sélectionné et la projection à Cannes, je n?ai eu qu?un mois pour transformer une copie de travail inachevée en film présentable. Pendant un mois, on a dormi dans la salle de montage à tour de rôle. Pour dormir trois heures, on s?allongeait sur le sofa. Pour une heure, on s?étendait par terre à même le sol. C?est un truc que j?ai appris au Japon, où le culte du surpassement est primordial. Pendant le tournage à Tokyo, toute l?équipe suivait le rythme, et quand quelqu?un tombait malade, il venait s?excuser d?avoir été à l?hôpital ! Je suis peut-être devenu un peu trop asiatique dans mon comportement. Quand, ensuite, j?ai tourné les scènes avec les enfants au Canada, il y avait des horaires syndicaux et tout plein de pénalités. Je me retrouvais comme un con dans ma chambre d?hôtel à 18 h 30, sans savoir ce que j?allais bien pouvoir faire jusqu?au lendemain matin..."</em>

GESTATION

GESTATION"J?ai réadapté le scénario pendant près de quinze ans. À un moment donné, le film se passait dans la cordillère des Andes, puis à Paris, et ensuite à New York. Entre-temps, j?ai beaucoup voyagé au Japon, dont je suis tombé amoureux. Une dizaine de producteurs se sont succédé. À chaque fois, ils tiquaient sur les mêmes choses. Difficile de faire accepter un film à gros budget tourné en anglais et au Japon avec des effets spéciaux très compliqués, des comédiens inconnus et des séquences érotiques. Ils me disaient : ?Et à part ça, t?as pas un petit polar bien ficelé à la <strong>Tarantino</strong> ?? (Rire.) Ben non. Je voulais faire ce film-là et rien d?autre. Comme je suis un peu maniaco-obsessionnel, je n?ai pas lâché l?affaire. Finalement, ce n?est pas plus mal qu?Enter the Void ait mis autant de temps à se monter. Il y a encore quatre ans, le film aurait été infaisable techniquement. "

POLÉMIQUE

POLÉMIQUE"Je suis un peu ado attardé, je prends du plaisir à me faire des ennemis. À Cannes, ça me plaît que les gens s?engueulent à propos de mes films ou viennent me dire que je leur ai volé 2 h 30 de leur temps. 4 Mois, 3 Semaines, 2 Jours, une Palme d?or que j?adore et qui est selon moi le film d?horreur ultime, a pourtant suscité un consensus. L?année dernière, je n?ai pas compris la polémique autour d?Antichrist. Pour moi, c?est un film rigolo, ludique et joli. À Cannes, les réactions sont psychotiques. Les gens crient au génie ou au meurtre. Il peut y avoir des transes collectives, comme dans certaines salles en Bolivie ou en Afrique."

CAMÉRA SUBJECTIVE

CAMÉRA SUBJECTIVE"Lorsque j?ai découvert La Dame du lac à la télé, un film de <strong>Robert Montgomery</strong> entièrement tourné en vision subjective, puis, beaucoup plus tard, Strange Days de <strong>Kathryn Bigelow</strong>, je me suis dit qu?un jour, je filmerais moi aussi à travers les yeux d?un personnage. Et pourquoi pas un mec qui meurt et qu?on accompagne dans le tunnel."

TOUT PERDRE EN UNE SECONDE

TOUT PERDRE EN UNE SECONDE"C?est vrai que c?est un thème récurrent dans mes films. Pourtant, je n?ai jamais connu de décès parmi mes proches. Je crois avoir vécu deux points de rupture dans ma vie. Le premier à l?âge de 5 ans, quand j?ai déménagé avec mes parents de New York à Buenos Aires et que j?ai perdu mes amis, ma langue, ma maison. Le second quand tout a commencé à partir en couille en Argentine. Du jour au lendemain, on parlait de camps de torture, des amis de mes parents disparaissaient, des flics débarquaient chez nous avec des mitraillettes. Un jour, mes parents ont été convoqués au commissariat. Ils sont partis en disant :<em> ?Si on ne revient pas, tu iras vivre avec tes grands-parents.?</em> Ils sont rentrés. Très peu de temps après, mon père, qui parlait ouvertement de la torture, a dû quitter précipitamment l?Argentine. Avec ma mère et ma s?ur, on a vécu cachés pendant six mois dans des appartements que l?on nous prêtait. Le jour de mes 13 ans, ma mère a fait nos valises et on a pris le bateau pour l?Espagne. C?était le dernier voyage du bateau qui reliait Buenos Aires à l?Espagne."

NEXT

NEXT"Par effet de bascule, maintenant, j?ai envie de tourner quelque chose de léger, en équipe super réduite. J?aimerais soit réaliser un documentaire, soit un film porno joyeux comme on en faisait dans les années 70, à la <strong>Gerard Damiano</strong> (Gorge profonde). Avec toutes les lois sur le X, les censeurs ont quand même réussi à ghettoïser la chose la plus naturelle du monde... "

Huit ans après Irréversible, Gaspar Noé nous replonge dans un tunnel entre la vie et la mort. Avec Enter the Void, le cinéaste entraîne le spectateur dans un trip comateux hallucinatoire en vol plané, dont il nous livre la stupéfiante – dans tous les sens du terme – substance.PROPOS RECUEILLIS PAR STÉPHANIE LAMOME