Cette semaine dans Place au cinéma Dominique Besnehard revient sur Le journal d’une femme de chambre de Luis Buñuel avec Jeanne Moreau.
En 1964, avec Le journal d’une femme de chambre c’est le retour d’un intellectuel et d’un cinéaste majeur que fête le cinéma français. Pensez, le cinéaste espagnol n’avait pas tourné en France depuis 24 ans et était parti plutôt fâché. L’histoire entre Buñuel et la France avait pourtant bien commencé. En 1925, c’est en jeune étudiant espagnol qu’il était venu trouver refuge en France. Il démarre comme assistant réalisateur et très vite se fait le compagnon de route d’André Breton, Max Ernst et de leurs amis qui ne s’appellent pas encore les surréalistes. En 1928, avec son compatriote Salvador Dali, il écrit Un chien andalou. Le court métrage fait sensation. Le film choque autant qu’il attire. Deux ans plus tard, il récidive sur le modèle onirico-provocateur avec L’âge d’or, toujours acoquiné de son comparse Dali. Cette fois-ci, le Paris des années 1930 ne rigole plus des collages anti-cléricaux qui parsèment le film. Des militants d'extrême droite manifestent violemment contre le film. La droite demande son interdiction. Le préfet de police Jean Chiappe cède à la vindicte populaire. Le négatif est saisi. Ce n’est qu’en 1981 que le film sera officiellement autorisé.
Quand Luis Buñuel accepte en 1963 d’adapter Le journal d’une femme de chambre d’Octave Mirbeau, il en profite pour régler son compte à cette France bourgeoise qui l’a forcé à l’exil avant de tomber dans le Pétainisme. Avec son co-scénariste Jean-Claude Carrière, il décale l’action du roman de trente ans afin de la situer ainsi dans la France ambivalente des années 1930. Le portrait que Buñuel dresse de la France veule et mesquine est celui qu’il a ressenti et c’est finalement dans le personnage de la femme de chambre (qu’incarne avec maestria Jeanne Moreau) qu’il se dépeint. La parisienne Célestine se retrouve ainsi confrontée au mari pleutre qui viole par amour (étonnant Michel Piccoli) comme au terrifiant Joseph, palefrenier fasciste, qu’on voit bien devenir milicien (Georges Géret). Le film se termine sur une manifestation d’extrême droite dans les rues de Cherbourg aux cris de « Vive Chiappe », référence à l’homme qui a interdit L’âge d’or.
Jeanne Moreau en 10 films
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