De quelle façon doit-on considérer le remake du Roi Lion, carton de l'été dans les salles ? Film d'animation ? Film live ? Et d'ailleurs, est-ce que cette dichotomie a encore du sens ? Tentatives d'explications.
Depuis que les remakes live des dessins animés Disney se sont enchaînés à un rythme délirant (déjà neuf films depuis Maléfique en 2014, et dix autres dans les tuyaux) jamais le studio de Burbank ne s’était retrouvé face à un cas aussi épineux que celui du Roi Lion de Jon Favreau, un film aux images photoréalistes mais entièrement conçues en animation 3D. Épineux, parce que Disney est historiquement un studio qui compartimente et quadrille toutes ses productions avec un soin maniaque et obsessionnel, probablement hérité des lubies de l’Oncle Walt.
Il y a d’abord les « grands classiques d’animations Disney » (tous bien numérotés de 1 à 57 pour l’instant). Viennent les films « live » avec séquences d’animation (de Mary Poppins au récent remake de Peter et Elliott le dragon), puis les Disneynature (les docus animaliers), les suites des « grands classiques » réservées au marché vidéo (Bambi 2, Le Roi Lion 2 : L’honneur de la tribu, La Petite Sirène II : Retour à l’océan). Auxquels on doit aussi ajouter les films Touchstone ou Buena Vista pour la section « live », bientôt les Disney Motion Pictures, sans compter les Pixar, les Marvel, les Star Wars, les Fox, et donc les « remakes live des films animés ».
Chaque section a son pré carré, son grand chef et ses petites mains, et personne ne mélange les torchons et les serviettes. Au royaume de Mickey, tout a toujours été ordonné de manière indiscutable et évidente à l’intérieur d’une société qui ne s’est jamais départie de son goût pour les organigrammes et les cloisons. Mais voilà qu’arrive Le Roi Lion de Jon Favreau. Et soudainement, les frontières deviennent poreuses.
La critique du Roi Lion nouvelle versionVendre une révolution
Du strict point de vue de la méthode, ce nouveau Roi Lion est un « classique de l’animation Disney » : il a été conçu sans « vrais animaux », sans « vraies caméras », et sans performance-capture. Contrairement au Livre de la jungle du même Favreau, qui comptait un Mowgli parfaitement humain dans ses rangs et renouait en quelque sorte avec la tradition hybride de Mary Poppins, Le Roi Lion a été intégralement conçu par des animateurs – les acteurs figurant au générique ayant été crédités en tant que simples doubleurs. Pourtant, il ne peut pas rentrer dans cette catégorie car, subtilité maison, il n’a pas été conçu dans l’enceinte des Walt Animation Studios, incapables de produire le rendu souhaité par Favreau.
Ce Roi Lion a été imaginé chez Moving Pictures Company, la société qui avait également conçu les effets visuels du Livre de la jungle, mais aussi de L’Odyssée de Pi ou de Blade Runner 2049. Puisqu’il vise une imagerie « réaliste », le film a donc été classé dans la catégorie des « remakes live des films animés ». Une étiquette que le studio a un peu de mal à justifier depuis sa mise en chantier. Sean Bailey, patron de la production chez Disney, expliquait ainsi au moment du lancement du film que Le Roi Lion version 2019 était avant tout une « nouvelle manière de faire des films », ce qui a le mérite de vendre une révolution à défaut de fournir une définition. Bailey n’avait cependant aucun mal à reconnaître le souci : « Les terminologies historiques ne sont pas applicables sur ce film, il utilise des techniques qu’on pourrait appeler de l’animation et d’autres qui relèvent du live action. C’est, disons, une évolution de la méthode que Jon avait utilisée au moment du Livre de la jungle. »
Le Roi Lion : avant-aprèsUne promesse de magie
À vrai dire, ce que propose Le Roi Lion est littéralement hors du commun et nécessiterait presque d’avoir sa propre case Disney. Si le studio aime à ce point les tiroirs bien rangés, c’est aussi parce qu’ils offrent des repères on ne peut plus clairs à leurs spectateurs. À l’heure qu’il est, s’il semble que le grand public ait très envie de voir ce Roi Lion, il apparaît aussi qu’il ignore tout de la nature du spectacle auquel il va assister. Pour Rodolphe Chabrier, le patron de la société d’effets visuels et d’animation 3D Mac Guff, c’est tout sauf un problème : « La terminologie, c’est un truc de journalistes, c’est intéressant, certes, mais la réalité c’est que le grand public n’envisage pas les choses de cette façon. Le spectateur ressent instinctivement quelles situations sont de l’ordre du possible – des animaux qui se promènent dans la savane, dans ce cas précis – ou de l’impossible – des lions qui se mettent à causer entre eux. Il ne va pas sortir du film en se demandant ce qu’il est en train de regarder, il choisit simplement de croire en l’histoire ou non, selon que le spectacle lui paraît bien fait ou pas. Et là, tout laisse à penser que ça a l’air très bien fait ! »
Rencontré par un journaliste du site web Slashfilm au moment de la dernière ligne droite, Favreau tenait un discours très similaire : « Je me souviens que lorsque j’ai découvert Gravity, je ne comprenais rien à la manière dont c’était fabriqué, rien. Mais j’étais submergé par l’expérience, et ça m’a ramené dans un état proche de l’enfance, c’est-à-dire ce moment où les films relèvent purement et simplement de la magie. » Voilà ce que le studio propose au grand public avec ce remake du Roi Lion : de la magie. Et ça, c’est une promesse qui a su faire ses preuves.
Si la frontière entre live et animation paraît inopérante au sujet du Roi Lion, c’est aussi parce qu’elle est de moins au moins prégnante dans les blockbusters contemporains – majoritairement conçus en « prévisualisation », et dont les séquences d’action sont toutes tartinées d’animations 3D de plus en plus sidérantes. Pour Rodolphe Chabrier, la seule frontière pertinente aujourd’hui serait celle qui sépare « les films relevant des arts graphiques et ceux qui visent l’hyperréalisme ». Dans le cas du Roi Lion de Favreau (qui se présente comme un remake plan par plan de l’original, un peu à la manière du Psychose de Gus Van Sant), la comparaison promet d’être passionnante.
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