Bilan quotidien de la 18ème édition du festival du film francophone d’Angoulême
Le film du jour : D’un monde à l’autre de Jérémie Rénier
A force d’être galvaudée, l’expression a sans doute fini par être démonétisée. Mais Gaspard Ulliel et Jérémie Rénier étaient bien plus que des amis. De véritables frères. Et la disparition brutale du premier le 19 janvier 2022 dans un accident de ski a laissé le second inconsolable. Comment se relever d’une absence chaque jour un peu plus insupportable ? Durant son douloureux processus de deuil, Jérémie Rénier a croisé la route de Loury Lag, un explorateur professionnel, en qui il a trouvé une oreille attentive et plus encore une main tendue pour remonter à la surface : la proposition de l’accompagner lors de sa prochaine expédition en Arctique.
Ce documentaire, sa toute première réalisation en solo (sept ans après Carnivores, qu’il avait co-signé avec son frère Yannick), est le récit de ce voyage. Celui où face à l’immensité des paysages, aux conditions extrêmes rencontrées et aux péripéties inattendues et déstabilisantes qu’elles engendrent, il va se confronter à la douleur de l’absence de l’ami disparu à jamais pour s’en libérer. Fait par un autre, ce voyage accompagné en voix- off par ses mots comme un journal intime partagé, aurait pu paraître impudique ou voyeuriste. Mais la pudeur de Jérémie Rénier, l’homme qu’il est et qui n’a jamais tiré la couverture à lui – dans ses films comme dans ses interviews – l’empêche naturellement de tomber dans cet écueil. La beauté de ce qu’il y dit, la manière dont il nous fait partager et ressentir ce qu’il traverse sans nous tordre le bras force l’admiration. Sans doute a-t-il d’abord et avant tout fait ce film pour lui.
Mais au fil des 73 minutes, son propos éminemment personnel devient universel. Et fait écho à ces douleurs qu’on a tous ressentis devant un proche dont on a du mal à concevoir qu’on ne le reverra plus. Tout en signant un vrai long métrage à destination du grand écran, aussi ambitieux dans sa forme que dans son propos, grâce au remarquable travail du chef opérateur Fabien Ruyssen. Nul doute que Gaspard serait fier de son ami. De son frère.
Sortie indéterminée
Le duo du jour : Mélanie Laurent et Joséphine Japy pour Qui brille au combat
En 2014, Mélanie Laurent offrait, dans son deuxième long métrage, Respire, à Joséphine Japy le personnage qui allait changer le cours de sa carrière. Et onze ans plus tard, voilà que les rôles s’inversent. C’est au tour de Joséphine Japy de passer pour la première fois derrière la caméra avec Qui brille au combat, une histoire inspirée par sa propre petite soeur atteinte d’un trouble génétique rare et la déflagration qu’a pu avoir ce handicap lourd sur sa famille. Un film d’une sensibilité immense sans un instant verser dans le pathos. Et pour jouer la mère de cette enfant, celle à travers qui on vit ce récit, Joséphine Japy a donc choisi de faire appel à… Mélanie Laurent !
Une mère au bord de l’épuisement, forcée de gérer ce qui peut l’être comme elle peut alors que son mari semble avoir choisi de multiplier les heures supp’ au bureau pour éviter de se confronter au réel. Un rôle aussi passionnant que casse-gueule tant les roller coaster émotionnels contradictoires surgissent à tout moment et dans tous les sens qu’elle transcende avec un naturel désarmant et une virtuosité jamais performative. Une composition aussi marquante que celle de Je vais bien ne t’en fais pas qui lui avait valu en 2007 le César de la révélation, portée par le regard d’une réalisatrice qui la connaît si bien. L’art de la transmission.
Sortie le 31 décembre
Le réalisateur du jour : Jérôme Bonnell pour La Condition
Changement de registre pour Jérôme Bonnell avec cette adaptation d’Amours de Lénor de Rocondo récompensé en 2015 du Prix des Libraires. Lui qui (du Temps de l’aventure à Chère Léa, en passant par J’attends quelqu’un ou le récent A la joie sur Arte) a su si magnifiquement explorer le sentiment amoureux, dans ses passions comme ses tourments, met ici en scène la dérive des non- sentiments à travers un mariage arrangé dans la France de 1908. Celui qui unit, dans un petit village de province, André, notaire hautain, figure éminente de la grande bourgeoisie locale et Victoire, immédiatement à l’étroit dans le rôle qui lui est assigné, celle de l’épouse modèle. Avant qu’une troisième personne s’invite dans ce duo : Céleste, leur jeune bonne, qu’André - à qui Victoire refuse tout contact charnel - va forcer à coucher avec lui et qui va tomber enceinte. Et voilà que cette maison cossue déjà riche en secrets enfouis va en accueillir un autre : cet enfant sera celui du couple, l’héritier tant espéré !
Mais l’instinct maternel ne se commande pas et voir le nourrisson qu’elle a mis au monde dépérir poussera Céleste à intervenir. Et à tisser un lien particulier avec Victoire. On retrouve ici tout ce qui fait le sel du cinéma de Bonnell. La qualité de sa direction d’acteurs (l’impeccable trio Swann Arlaud - Louise Chevillotte - Galatéa Bellugi). Sa parfaite gestion des rebondissements tout en fluidité et donc en surprise. Sa mise en scène maîtrisée et jamais ostentatoire qui éloigne ce huis clos dans une maison de plus étouffante -de tout académisme pour ce qui est son tout premier film en costumes. Et le regard toujours pertinent qu’il pose sur ses personnages féminins complexes aux réactions souvent inattendues dans une époque où, condamnées à subir, leur processus de libération nécessitait un courage et une volonté hors du commun. Et tout cela donne naissance à un film d’une infinie délicatesse où cette histoire de plus d’un siècle trouve des résonnances dans notre époque sans avoir besoin de souligner pourquoi.
Sortie le 3 décembre 2025







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