Loin des expérimentations de Ridley Scott avec sa propre saga, Fede Álvarez livre un best of artificiel des meilleures idées de la franchise Alien.
Il s’agit presque de biologie. Dans le cycle de vie d’une franchise, on arrive toujours à ce moment-là : revenir aux sources, aux fondamentaux, promettre au public "le meilleur film depuis le premier". Alien : Romulus est de cette espèce. En l’occurrence, comme il s’agit d’un Alien, il s’agit de promettre "le meilleur film depuis les deux premiers" puisque Alien : Romulus, se situant chronologiquement entre Alien, le 8ème passager et Aliens, le retour, veut se hisser à leur hauteur. De fait, tout au long de Romulus, on se surprendra plutôt à penser qu’on ferait mieux de revoir les films de Ridley Scott et James Cameron, tant Fede Álvarez accumule les clins d’œil explicites, les citations littérales, les trucs les plus évidents des deux premiers Alien -sans oublier pas mal de Blade Runner, et un soupçon d’Alien 3 et Prometheus, tant qu’on y est. A tel point qu’on se demande même s’il reste ne serait-ce qu’une idée originale dans les soutes de ce Romulus ? Ce serait un peu injuste : il y a d’abord cette idée de départ, celle d’une bande de jeunes working class heroes coincés sur une atroce planète-exploitation minière, rêvant du soleil de l’ailleurs, cherchant leur ticket de sortie sur une station spatiale abandonnée. De jeunes actrices et acteurs doués, travailleurs et sympathiques, déjà expérimentés (Cailee Spaeny, Isabella Merced, David Jonsson ont déjà de l’XP à revendre), balancés dans un film Alien, mais alors by the book : un huis clos, des sales bêtes, des comptes à rebours diégétiques (lorsqu’on annonce un impact dans dix minutes, c’est qu’il aura lieu dans dix minutes de métrage, comme dans Aliens), l’espace hostile. Et le nom du vaisseau des héros s’appelle le Corbelan : c’est le nom d’un des personnages du roman de Joseph Conrad Nostromo.
Oh, il ne manque rien. Pas un couloir sombre, pas un néon pas un écran cathodique rétro, pas un bouton lumineux : toute la charte graphique d’Alien est là, parfois magnifique (les visions spatiales sont impressionnantes, comme l’apparition du soleil au-dessus des nuages interrompue par l’arrivée de la station, relecture 2024 du Nostromo se découpant sur la planète), scrupuleusement recopiée. Sans que cette copie, ce réplicant en somme, ne soit elle-même un principe de cinéma. Alien : Romulus est conoçu comme un jeu en pixelart à destination des adeptes de retrogaming. En remakant Evil Dead en 2013, Álvarez jouait la carte de l’outrance sérieuse, un joli paradoxe qui fonctionnait par son intransigeance. Le paradoxe que pose Romulus, sans jamais tenter de le résoudre, est autre. Venu à Paris fin juin pour présenter 20 minutes de son film, Álvarez soulignait que la franchise Alien est "une franchise de filmmakers", tout en affirmant qu'il avait dû "ôter son ego de l'équation" et ne pas faire "le Alien de Fede Álvarez". La mission est accomplie : Fede a fait son Alien comme il faut, dans les règles. "Dans le meilleur intérêt de la Compagnie", comme le répète en boucle le méchant du film, personnage qui reconnecte le film avec le premier Alien, utilisant toute la boîte à outils du classique de 1979 pour se construire. Effectivement, pas d’ego là-dedans. Même quand le film égrène des répliques cultes d’Aliens, le retour ("je préfère le terme de "personne artificielle" moi-même", "ne la touche pas, salope !", citées littéralement à seule fin de faire crier les fans, et les critiques), il ne se pose pas comme créateur. En somme, pas comme Luca Guadagnino, qui claironnait à l’époque : "le réalisateur de Suspiria, c’est moi !"
Là où Prometheus et Alien : Covenant était d’étranges réplicants, des objets expérimentaux à la fois ratés et passionnants, où Ridley Scott réinvestissait la franchise Alien, dialoguant avec sa propre mythologie, montrant les clichés pour mieux les dépouiller, au risque de l’implosion. Le flair artistique de Scott, avec le prologue génétique ou l’auto-autopsie de Noomi Rapace dans Prometheus, le génocide planétaire de Covenant, passait pour une forme d’expérimentation biologique. A la fin de Romulus, on y trouve un semblant d’expérimentation -mais qui évoque justement celles des suites mal-aimées de Ridley Scott. Même la musique s’y met : L’Or du Rhin de Wagner, utilisé dans Romulus, était déjà employé dans Covenant, tandis que traîne des fragments de la partition de Gregson-Williams pour Prometheus. Ainsi, Romulus n’a pas vraiment la valeur d’une expérimentation, mais plutôt celle d’un film de fan, soigné, parfois efficace, mais sans ego, sans vision. Ultime détail (clin d’œil ? pirouette ? à ce stade, on n’en sait trop rien) biologique, on apprend dans le film le nom latin donné à l’ADN de la créature : Plagiarus. Mais dans le meilleur intérêt de la Compagnie.
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