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208,4 millions d’entrées en France en 2014. On n’avait pas fait mieux sur les quatre dernières décennies, à part en 2011 (216 millions), année du phénomène Intouchables. Dans les deux cas, le box-office était tiré par deux, voire trois locomotives locales. « À chaque fois qu’on atteint un tel niveau en France, c’est parce que le cinéma hexagonal est au plus haut », analyse Sarah Drouhaud, rédactrice en chef du site lefilmfrancais.com. Les films français ont en effet dopé le marché, plaçant en tête du box-office trois des leurs (Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ?, Supercondriaque, Lucy), ce qui n’était pas arrivé depuis 1970 ! La place à 4 euros pour les moins de quatorze ans, mesure phare du CNC prise sous la pression des exploitants et entrée en vigueur le 1er janvier 2014, aurait-elle eu un impact sur le marché ? « On sortait Minuscule quand ce tarif a été appliqué, répond Jean Labadie, PDG du Pacte et distributeur avisé. On estime qu’on a perdu 7 à 10% de chiffre d’affaires sur les entrées. Celles-ci auraient-elles été inférieures sans cette mesure ? Impossible de le savoir. » Pour Stéphane Célérier, PDG de Mars Films, autre distributeur dynamique tout juste auréolé du succès de La famille Bélier, il n’y a aucune ambiguïté : « Je préfère qu’il y ait des spectateurs à 4 euros que pas de spectateurs du tout. » L’incroyable part de marché du cinéma français (44% contre 45,1% pour le cinéma américain, à rapprocher des chiffres de 2001) découle de cette euphorie ambiante même si, pour le coup, c’est purement conjoncturel. « L’an dernier, notre part de marché était de 33,8%, score plus conforme à nos capacités, mais il ne faut pas se tromper : c’était déjà élevé, affirme Sarah Drouhaud. Citez-moi un seul pays occidental, à part les Etats-Unis, où la pdm locale avoisine ces chiffres ? »>> Stéphane Célérier revient sur le succès de La Famille Bélier">>>> Stéphane Célérier revient sur le succès de La Famille BélierLes talents peuvent s'exprimerSi on entre dans le détail, il y a bien sûr des échecs considérables (The Search, Colt 45, Un illustre inconnu) et d’autres relatifs (Les vacances du Petit Nicolas), mais, globalement, 2014 restera une année exemplaire. « En France, on n’est jamais content, se désole Stéphane Célérier. Quand on fait des succès, on les critique ; quand on n’en fait pas, on se plaint de ne pas en avoir ! » Jean Labadie ne dit pas autre chose. « Je peux vous affirmer qu’en Europe (où Lucy, le Bon Dieu, et Astérix ont également performé, ndlr), tout le monde nous envie d’obtenir de tels résultats. Non seulement le cinéma français résiste mais il le fait avec des films de qualité qui prouvent notre capacité à renouveler les talents. » Et les deux hommes d’insister sur le maintien nécessaire du système unique de financement du cinéma français - obligation faite aux chaînes d’investir ; prélèvement d’une part sur chaque billet vendu qui alimente une épargne pour le compte des distributeurs et des producteurs à réinjecter dans d’autres projets nationaux. « Ce n’est pas de l’argent public, s’empresse de préciser Jean Labadie. En nous obligeant de la sorte, on fait bénéficier le système d’une sorte d’équilibre. » « Attention de ne pas défaire ce qui marche plutôt bien », met en garde Stéphane Célérier, comme un avertissement aux tenants d’un plus grand libéralisme dans le secteur. « Je rappelle qu’avant de tourner La Môme, Polisse ou Des hommes et des Dieux, Olivier Dahan, Maïwenn et Xavier Beauvois réalisaient déjà des films qui avaient plus ou moins de succès. Ils ont pu s’épanouir grâce à notre système. » Jean Labadie va plus loin. « Quelqu’un qui a du talent n’a aucune raison de ne pas réussir en France car on a les moyens et la structure qui le permettent. Il y a notamment 25 distributeurs - donc 25 goûts différents - qui sont capables de mettre de l’argent dans des films, à des niveaux différents. Dans les autres pays, quand vous enlevez les filiales des majors américaines, il n’y a presque plus personne pour soutenir les cinémas nationaux. »La distribution, maillon fort en dangerLe distributeur, maillon essentiel de la chaîne puisqu’il verse un à-valoir en s’engageant sur un film et qu’il assume sa sortie en salles (promotion, copies), représente une corporation exposée. « Ce qu’injecte Canal+ représente désormais peanuts par rapport à ses investissements dans le sport. Nous sommes les seuls à mettre de l’argent à risque, explique Jean Labadie. Un ou deux gros échecs peuvent considérablement nous fragiliser car les pertes sont à chaque fois énormes. Cette année, si, face aux revers que sont Vie sauvage et A la Vie, je n’oppose pas les succès du Sel de la terreTimbuktu et Hippocrate, je suis très mal. » Pour Stéphane Célérier, il est notamment urgent de s’attaquer au piratage. « C’est le cancer de notre métier, se fâche-t-il. Le gouvernement doit sérieusement se pencher sur cette question. » « Hadopi est d’une nullité effarante, enchérit Jean Labadie. En Allemagne et en Angleterre, les sanctions sont fortes contre les pirates qui, on a tendance à l’oublier, sont des voleurs, pas ces mecs souvent décrits comme sympathiques et bons en informatique. Les Majors américaines sont bien sûrs plus directement impactées que nous mais le piratage de leurs films a des influences sur les entrées, ce qui rejaillit tout le système. » Pour conclure, 2015 confirmera-t-il les chiffres de 2014 ? Pas sûr. « Nos savons tous, dit Jean Labadie, que la part de marché du cinéma américain va mathématiquement augmenter en raison des nombreux reboots et suites attendus prévus – AvengersStar Wars, Hunger Games, Mad Max, Terminator Genisys, etc. Contrairement à eux, nous ne pouvons pas établir de projections plus ou moins logiques sur les chiffres, étant donné que nous travaillons la plupart du temps sur des objets uniques. Vous m’auriez demandé il y a un an de parier sur un film pour les bilans, je vous aurais répondu Supercondriaque, pas Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ?. »Christophe Narbonne (@chris_narbonne)