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A travers la radioscopie d’un couple en goguette, Angelina Jolie dresse le portrait d’une femme meurtrie, sans réussir à convaincre totalement.  

Dans son troisième film en tant que réalisatrice, Angelina Jolie s’appuie sur trois éléments : un sujet (un couple de quadragénaires fait le point), un lieu isolé (un hôtel sur la côte d’azur, incidemment filmée à Malte) et une époque (les années 70, sans internet ni téléphones portables). A partir de là, Jolie structure son film un peu comme l’émission Cinéma cinémas l’avait fait autour de la séquence d’Alphaville où un personnage  parcourt un couloir en ouvrant les portes une par une. Dans l’émission, chaque ouverture permettait de développer un sujet. Dans Vue sur mer, Angelina Jolie donne l'impression de survoler ses sujets, et on serait tenté de préciser que dans certains cas, elle enfonce des portes ouvertes.

Mais partons du début : Angelina et Brad jouent un couple de célébrités. Elle est une ancienne danseuse, lui un écrivain en quête d’inspiration pour son prochain roman. Avant d’atteindre leur but, un hôtel de luxe, ils laissent passer un certain temps, histoire d’amortir la DS décapotable de la production, d’écouter en entier un morceau de Gainsbourg, et d’admirer la côte maltaise, photographiée en couleurs chaudes et sensuelles par Christian Berger, aux antipodes de l’image métallique et glaciale que lui commande habituellement Michael Hanecke. D’emblée, le film adopte un rythme que les Anglo-Saxons qualifient de « délibéré », pour suggérer à demi-mot qu’il ne va pas se passer grand chose.   

Une fois les époux arrivés, le film peut dérouler la métaphore du couloir et des portes. La première ouverture est figurée par le regard que jette Angelina depuis son balcon. Elle voit d’autres femmes sur le leur, prendre le soleil, les seins à l’air. Là, on se dit : « Alerte ! Message ! » et on cherche le sens. Plusieurs possibilités : serait-ce le regard d’une Américaine puritaine qui s’étonne de la liberté des Françaises ? Peu probable, étant donné qu’à l’époque (années 70), les Américains riches et célèbres étaient plus que vraisemblablement « libérés ». Plus prosaïquement, l’observation sert à marquer le contraste avec le personnage de Jolie, qui malgré le soleil, reste farouchement couverte (chapeau à large bord, lunettes de soleil comme des écrans de télévision, voilages et peignoirs). C’est un premier signe qu’elle cache un secret.

Longs couloirs

La deuxième porte ouverte invite à découvrir le mari, joué par Brad Pitt. C’est un écrivain, et délibérément ou non, l’acteur s’est fait la tête d’Hemingway, renforçant l’association d’idée avec Les neiges du Kilimandjaro. Sauf qu’ici, le personnage occupe le second plan et il est sommairement décrit : il a du mal à écrire (bâillement) et pour compenser, il boit (re-bâillement).

Troisième porte : un couple de jeunes mariés (Melvil Poupaud et Mélanie Laurent) s’installe dans la chambre à côté, et ils ne font pas mystère de leur intention de produire un enfant le plus vite possible, suscitant un vif intérêt de la part de Jolie (Message !). A ce stade, on croit avoir déjà deviné vers quoi le film tend, en se disant quand même que ça ne peut pas être aussi simple, donc, on pense à d’autres possibilités, et on se laisse emmener le long du couloir (lentement).

Une autre ouverture se fait lorsque Jolie découvre dans sa chambre un trou dans le mur qui permet de mater les jeunes voisins en train de copuler. On quitte le territoire d’Antonioni pour entrer dans celui d’Hitchcock. On y reviendra un peu plus tard lorsque Angelina pratiquera sur Melvil une forme de fétichisme vestimentaire inspirée de Sueurs froides.

Avançons jusqu'à la scène de la baignoire, qui permet au personnage de se dévoiler dans tous les sens du terme. Incidemment, cette séquence a fait couler beaucoup d’encre parce qu’elle montre les seins reconstruits de l’actrice. Elle s’en est expliqué avec sa franchise habituelle et ses précisions ont été suffisamment relayées sur la toile pour qu’on n’ait pas besoin d’y revenir.

Angelina Jolie raconte ses scènes de sexe avec Brad Pitt

Toutes les portes ayant été ouvertes, l'explication (qu’on n’ira pas jusqu’à révéler) peut avoir lieu, donnant du sens à toutes les parcelles d'information censées jusque-là susciter le mystère. Jolie dit s’être inspirée de quelqu’un qu’elle connaît, mais on peut imaginer qu’elle a mis un peu d’elle-même dans ce personnage fictif affligé d'une forme de détresse qui n’est ni de la jalousie envers la jeunesse, ni de la nostalgie pour une époque révolue, mais quelque chose de plus profond, puisqu'elle regrette une capacité dont elle a toujours été privée. Ca n'est pas anodin, mais on attendait plus à ce stade, d'autant que l'information est lâchée à l'occasion d'un banal dialogue qui manque de dimension.

Au risque de passer pour l’hypocrite caricatural joué par Philippe Noiret dans Coup de torchon, il faut reconnaître que Vue sur mer n’est pas totalement réussi, mais pas non plus raté. Comparé à d’autres films de couples, il est moins embarrassant que Shanghai surprise (avec Sean Penn et Madonna), mais loin de rivaliser avec Eyes Wide Shut (Avec Tom Cruise et Nicole Kidman). Mine de rien, il aura quand même permis de citer en vrac Godard (Jean-Luc), Hemingway, Antonioni, Hitchcock, Hanecke, Goddard (Jim), Kubrick et (indirectement) Tavernier. Drôle de mélange.

La bande-annonce de Vue sur mer, déjà en salles :