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Jim Jarmusch signe sans en avoir l'air l'un de ses films les plus aboutis.

À cause de sa légèreté et de son apparente désinvolture, on serait tenté de qualifier le dernier film de Jim Jarmusch de mineur. Mais ce serait probablement autant une erreur que de prendre pour de l’ironie l’humour à froid du New-Yorkais. Celui-ci se livre ici à une réflexion amusée sur les rapports entre l’art et la vie quotidienne, le professionnalisme et l’amateurisme, la poésie et la prose. Le procédé est très simple : la vie de Paterson (Adam Driver), un chauffeur de bus, est réglée comme du papier à musique. Le matin, il se rend au dépôt puis, après avoir échangé un dialogue de sourds avec son superviseur, il conduit toute la journée en écoutant les conversations des passagers. Le soir, avant d’aller promener son chien et boire des coups au bar local, il écoute sa femme (Golshifteh Farahani) lui raconter ses créations, qui consistent à se confectionner des robes ou cuisiner des cupcakes souvent en noir et blanc. 

L'art poétique de Jarmusch

Le film est divisé en autant de chapitres qu’il y a de jours dans la semaine, chacun rythmé de la même façon. La répétition, motif obsessionnel, se manifeste de multiples façons, à commencer par les apparitions sporadiques de jumeaux. Elle peut même prendre une dimension métaphysique, au sens karmique : Paterson est le nom du personnage, mais c’est aussi celui de la ville où il habite et avec laquelle il se sent en symbiose au point d’attacher une importance aux célébrités qui en sont originaires. Lui-même écrit des poèmes que personne ne lit, mais qui posent implicitement une question existentielle : est-il un poète qui conduit des bus pour vivre ou un conducteur de bus qui écrit de la poésie à ses heures perdues ? La réponse importe peu, mais elle semble guider Paterson dans ses recherches, tout au long de ce voyage sur place, qui finit par une rencontre décisive avec un poète japonais (Masatoshi Nagase, vu dans Mystery Train, encore une répétition), dont on retiendra cet aphorisme irréfutable : « Traduire de la poésie, c’est comme prendre une douche avec son imperméable. » Même si l’idée de cette histoire remonte à une trentaine d’années, sa réalisation est le fruit de l’expérience acquise entre-temps. En s’interrogeant sur les mystères de l’inspiration et de l’écriture, Jim Jarmusch livre une oeuvre de maturité qui pourrait bien constituer son art poétique.