Populaire : le destin d'une comédie pas comme les autres
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En juin 2012, le producteur Alain Attal, le réalisateur Régis Roinsard, et leurs deux acteurs Romain Duris et Déborah François racontaient dans Première l'aventure Populaire. Flashback, en attendant de le revoir à la télévision.

Le pari d'un premier film

Producteur de Ne le dis à personne et du Concert via Les Productions du Trésor, Alain Attal est un homme heureux. Lors d’un déjeuner informel sur la Croisette, il est interpellé amicalement par Lionel Amant, un agent artistique, qui lui lance : « Tu ne fais plus de premiers films, toi ? » Piqué au vif, Attal lui explique qu’il est justement en train de préparer Radiostars, réalisé par un jeune mec prometteur (Romain Levy). Amant lui « vend » alors en deux minutes le pitch de Populaire, qui fait tilt dans la tête du producteur.

Alain Attal : Quand Lionel a évoqué l’histoire de cette jeune fille qui tape à la machine plus vite que son ombre, le sujet m’a aussitôt parlé. Ma mère exerçait cette profession, donc je sais que la rapidité était un critère de sélection. En revanche, j’ignorais qu’il existait des championnats nationaux et mondiaux de vitesse dactylographique. Bref, le sujet m’a intéressé et je lui ai demandé de m’envoyer le scénario, que j’ai reçu dix jours après mon retour à Paris. Je me suis rendu compte que, dès le départ, j’étais la cible de Régis !

Régis Roinsard : Je souhaitais que mon film soit produit par quelqu’un d’à la fois important et indépendant. Alain s’est donc imposé assez naturellement. On lui a envoyé le scénario un vendredi et il a donné une réponse favorable le mardi suivant. À cet instant, je me suis dit qu’il était fou ! Il ne m’avait même pas rencontré, il ne savait pas ce que je valais.

Alain : J’ai rarement l’occasion de travailler sur un projet comme celui-ci, dont je n’ai pas développé le script et dont je ne connais ni le réalisateur ni les coscénaristes (Daniel Presley et Romain Compingt). Mais pour la première fois de ma vie, j’ai lu une version qui, je vous assure, pouvait être tournée en l’état. J’ai donc appelé Lionel Amant pour lui dire que je voulais en être.

Régis : Je savais que ce serait un film cher. Il était donc vital de présenter un scénario imparable pour qu’il n’y ait aucun doute sur son ambition et son ampleur. C’est pourquoi, à l’écriture, j’ai très vite décidé de m’entourer de gens qui pourraient m’aider à muscler l’histoire. Daniel Presley, un ami américain, grand connaisseur de Billy Wilder, a ainsi apporté l’esprit de la comédie américaine classique que je recherchais. Ensemble, on a commencé par écrire un traitement qui ne m’a satisfait qu’à 60 %. Le personnage de Rose demandait à être creusé. Je me suis alors souvenu de scripts cosignés par Romain Compingt, jeune type de 26 ans fan de Britney Spears et de Marilyn Monroe. Il avait le profil idéal pour faire évoluer Rose lorsqu’elle devient une star et qu’elle subit les affres de la célébrité. On lui a laissé le scénario pendant trois semaines et il nous a rendu quelque chose de presque parfait. On a ensuite fignolé le tout à trois.

Pour Régis Roinsard, les rencontres successives avec Alain Attal puis Romain Duris vont non seulement donner vie au projet, mais aussi en affiner les orientations esthétiques et dramatiques.

Populaire
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Esthétique Mad Men

Alain : Avant même de rencontrer Régis, ma décision était prise. Il aurait vraiment fallu qu’il me donne le sentiment de ne pas être à la hauteur pour que je fasse machine arrière... Mais le gars m’a tout de suite plu. Avec ses lunettes à l’ancienne, sa timidité et ses références cinéphiliques, j’ai eu l’impression de voir débarquer quelqu’un des années 50 ! En parlant avec lui, je me suis rendu compte qu’on était sur la même longueur d’onde, tant au niveau des modèles que des envies de mise en scène.

Régis : Alain et moi voulions une facture moderne qui ne verse jamais dans la nostalgie. Les gens ne vont sans doute pas pouvoir s’empêcher de comparer Populaire à Mad Men, série avec laquelle le film partage – je l’espère – une réelle exigence dans l’écriture et la direction artistique.

Alain : La manière dont Mad Men revisite l’époque en termes de stylisme a en effet été une grande source d’inspiration. Mais il règne dans cette série, que j’adore, un cynisme très éloigné de la vision de Régis, qui lorgne vers le mélodrame et le romanesque. Nous, ce qu’on souhaite, c’est raconter une putain d’histoire d’amour !

Romain Duris : Après avoir lu le scénario, qui m’a intrigué, j’ai eu envie de savoir pourquoi Régis tenait à faire ce film. Voulait-il réaliser un truc joli et un peu à la mode, pour reparler de Mad Men, ou quelque chose de plus profond ? Son enthousiasme, son érudition et son humilité m’ont rassuré.

Film de sport ?

Régis : J’ai mis beaucoup de moi dans les personnages. Rose, par exemple, est un concentré de plusieurs femmes un peu affranchies que j’ai rencontrées. Louis, pour sa part, ressemble à mon père. C’est un assureur de province dont le côté coach découle de ma fascination pour le sport. Avant d’aller à mon rendez-vous avec Romain, je pense que j’avais anticipé toutes les craintes ou interrogations qu’il pouvait avoir. Il faut par ailleurs savoir qu’avec Alain, Romain était notre priorité. Il nous semblait indispensable de travailler avec un acteur qui s’engage à fond dans les films. Il a beaucoup contribué à enrichir le personnage de Louis.

Romain : Ce mec est fou. C’est un petit agent d’assurances qui a toujours été numéro deux et qui est obsédé par l’idée de façonner une championne, qu’il installe chez lui pour l’entraîner. On n’est pas dans Misery, même si j’avoue que j’y ai pensé ! (Rire.) Pour me préparer, j’ai rencontré Régis Brouard, l’entraîneur de l’US Quevilly, ce club de foot amateur qui a réussi l’exploit d’arriver en demi-finale de la Coupe de France en 2010 et en finale cette année. J’ai appris énormément de choses sur ce métier grâce à lui. J’ai adoré ça, je lisais L’Équipe tous les jours. Populaire a une vraie dimension de film sur le sport.

Alain : La présence de Romain a également facilité le financement...

Romain : Si je peux aider, tant mieux, mais je n’y pense pas trop. Je me dis toujours que ça se serait fait, même sans moi. Après, je suis évidemment très content de participer à un premier film.

DR

Casting de choc

Puis est arrivé le temps du casting et du choix crucial de l’actrice qui allait interpréter Rose. Une seule gagnante parmi les 150 jeunes femmes auditionnées...

Régis : Pour le personnage de Rose, il fallait trouver une actrice novice ou pas trop connue pour favoriser l’identification du spectateur à cette petite provinciale qui va se révéler au grand jour. Avec mon directeur de casting, on avait collé au mur des photos d’actrices des années 50-60, à la fois candides, déterminées et sexy – Hepburn, Bardot, Deneuve –, à côté desquelles notre Rose aurait pu poser. Quand j’ai vu l’essai de Déborah, j’ai tout de suite trouvé qu’elle dégageait ce qu’on recherchait.

Alain : J’ajoute que l’actrice choisie allait devoir énormément s’impliquer dans le rôle. Il fallait qu’elle apprenne à taper à la machine comme une pro et à jouer du piano. On sentait Déborah très motivée, mais elle n’était pas la seule...

Déborah François : Avant de me rendre au casting, j’ai travaillé le personnage avec une amie coach dans l’idée de jouer les quelques scènes imposées comme si j’étais Rose. Je n’ai pas eu beaucoup de mal à la « trouver » : c’est une féministe avant l’heure qui, comme moi, a quitté son petit village pour la grande ville et fait preuve de beaucoup de maladresse. (Rire.) J’aurais vraiment été triste de passer à côté de ce personnage.

Régis : J’avoue avoir douté à un moment. Existait-il une Rose Pamphyle en 2011 ? Lorsqu’on a fait les essayages costumes et coiffure avec Déborah, j’ai été soulagé.

Déborah : La première fois que j’ai rencontré Régis, après avoir obtenu le rôle, il m’a salué d’un : « Bonjour Rose Pamphyle ! »

Romain : Dès les répétitions, on a tous senti que la motivation de Déborah allait se fondre dans celle du personnage. Je suis allé la voir en Belgique, où elle travaillait avec sa coach en dactylographie, et ça ne rigolait pas !

Déborah : Entre la préparation en amont et le suivi pendant le tournage, j’ai pris six mois de cours, pas seulement de dactylo mais aussi de piano et de danse. Pour la dactylographie, ça a été un peu compliqué. D’abord, il a fallu que j’apprenne à taper avec mes dix doigts, puis à taper de plus en plus vite, sachant que les touches des machinesà écrire sont beaucoup plus dures à enfoncer que celles des claviers d’ordinateurs.

Régis : Pour les seconds rôles, j’ai par ailleurs souhaité prendre des gens issus d’univers variés afin qu’ils apportent des « musiques » différentes. Bérénice Bejo, que j’ai découverte et adorée dans The Artist, est lumineuse dans le rôle de l’amour de jeunesse de Louis. Pour jouer les parents de ce dernier, j’avais envie d’un couple d’acteurs « populaires ». Miou-Miou et Eddy Mitchell m’ont fait la joie d’accepter, alors qu’Eddy refuse en général les petits rôles. Nicolas Bedos, le rival de Louis, a pour sa part fait des essais époustouflants. Enfin, Déborah m’a soufflé le nom de Frédéric Pierrot pour jouer le père de Rose.

Culture Pop

Populaire a toujours été envisagé comme un « gros » film. Budgété par le directeur de production à 15 millions d’euros, il aura finalement coûté un demi-million de plus, somme conséquente pour un premier long.

Alain : On aurait pu resserrer les scènes de compétitions pour économiser de l’argent, mais ce n’était pas notre ambition.

Romain : Quand tu l’écoutes, tu comprends vite que Régis ne rigole pas à propos de son désir de cinéma. Il est hyper ambitieux, sa culture est impressionnante. Ça t’embarque.

Régis : Alain ne m’a jamais mis la pression à cause de l’argent engagé. Je lui serai éternellement reconnaissant d’avoir, à ma demande, engagé Guillaume Schiffman (The Artist) comme directeur photo. Recréer une lumière fifties en studio, c’est simple. En extérieur, c’est plus compliqué. On a donc revu plein de films français des années 50-60comme Le Ballon rouge, Zazie dans le métro et certains Godard.

Romain : J’ai regardé plusieurs films de Douglas Sirk car je savais que Régis était sensible à sa façon de mettre en scène. J’ai aussi eu envie de me replonger dans des films qui traitaient de la France des années 60, comme Les Cousins, de Chabrol, ou Les Tricheurs, de Carné, pour voir quels étaient les codes sociaux ou amoureux à l’époque.

Déborah : J’ai énormément discuté et travaillé avec la créatrice des costumes. La robe que Rose porte pour les championnats du monde, nous l’avons quasiment conçue ensemble. J’ai adoré avoir cette liberté-là.

Alain : Sur un film classique, la somme allouée aux costumes et aux accessoires représente 5 % du budget global. Là, ça montait à 20 %.

Romain : C’était super agréable d’arriver chaque jour sur le plateau. Le travail de reconstitution était vraiment minutieux. Impossible de tirer la gueule lorsque tu bosses dans de telles conditions. Tu sens à chaque instant que tu es vraiment en train de faire du cinéma.

Déborah : Je me souviens d’un décor sur le pont d’Iéna, privatisé pour l’occasion. Il y avait une cinquantaine de voitures d’époque et une centaine de figurants, c’était impressionnant.

Régis : Quand le tournage s’est achevé, en janvier dernier, j’ai eu un énorme baby blues. À l’approche de la fin du montage, j’en sens un deuxième arriver. J’en vivrai peut-être un troisième juste avant la sortie du film...

Alain : L’automne est une saison qui me réussit en tant que producteur. Ne le dis à personne, Le Concert, Les Petits Mouchoirs et Polisse sont tous sortis à cette période. On croise les doigts... 

Christophe Narbonne


Populaire, entre My Fair Lady, Mad Men et Rocky [critique]