Ciné + Classic consacre une soirée au cinéaste français des Yeux sans visage, chef-d’œuvre de l’épouvante qui a fini par écraser son auteur. Portrait d’un franc-tireur insaisissable.
C’est en 1960 que sortent Les yeux sans visage, thriller fantastique autour d’un chirurgien maléfique et pathétique (Pierre Brasseur) qui entend remodeler la beauté de sa fille défigurée (Edith Scob) avec la peau des autres. Tourné dans un noir et blanc somptueux, signé du mythique chef opérateur allemand, Eugen Schüfftan (Metropolis de Fritz Lang…), le film saute à la face des spectateurs. Français d’abord, peu habitués à ce que leurs cinéastes flirtent avec l’épouvante et remettent en jeu un naturalisme indéboulonnable. Etrangers ensuite, puisque le film va devenir une sorte de totem du cinéma de genre, fétichisé à l’extrême. Derrière cette météorite fulgurante, il y a donc Georges Franju, un cinéaste né en 1912, trop vieux pour flirter avec une jeunesse Nouvelle Vague – mais âprement défendue par elle – et trop iconoclaste pour faire partie de l’arrière garde. Franju est entre deux mondes, où plutôt sur une autre planète, celle où les étiquettes se décollent une fois posées à l’arrière du veston.
« Je ne suis pas un spécialiste de la féérie et du fantastique, étant plutôt attiré par la rigueur, la précision, le réalisme, se défend Franju à la sortie de ce deuxième long-métrage. Je pense que ce qui rend si terrifiant Les yeux sans visage est justement cette précision presque scientifique et au moins documentaire. » Un succès et déjà un malentendu donc. Franju a raison lorsqu’il parle de documentaire car malgré les apparences, c’est bien le réel qui tourmente cet auteur, né dans une famille de la bourgeoisie bretonne. Franju a d’ailleurs débuté comme réalisateur en filmant « les vrais gens » dans des documentaires saisissants : Le sang des bêtes, en 1948, plongée sans concession dans les abattoirs de la Villette à Paris sur un commentaire grave et scientifique de Jean Painlevé. Ce tournage est une révélation pour Franju qui se retrouve confronté à la violence la plus crue et n’hésite pas à la regarder en face. « Lorsque je tourne, il y a l’équipe de tournage autour de moi, on est plus fort. Et puis, il faut bien faire son travail. La peur la plus terrible, c’est quand on a peur tout seul ! »
Contre le monde
Après Le sang des bêtes, il y aura aussi Hôtel des Invalides (1951), film de commande censé célébrer les mutilés de guerre mais qu'il détourne pour épingler la bêtise des conflits armés et les souffrances qu’ils engendrent. Franju tord déjà le cou du réel à l’aide du cinéma pour en révéler sa brutalité donc son étrangeté. Dans le très bon documentaire diffusé en ce moment sur Ciné + Classic et valable en replay, Seul Franju de Sonia Cantalapiedra, l’un des plus fidèles amis de Franju, l’ancien directeur de la Cinémathèque Suisse, Freddy Buache commente : « Dans l’ordre, il trouve déjà du désordre. Il était contre le monde. Car enfin, on ne peut pas être pour le monde ! » « Contre le monde » peut-être mais pour le cinéma, assurément. Rappelons ici que Georges Franju a tout de même cofondé la Cinémathèque Française aux côtés d’Henri Langlois, en 1936.
La muse
Le premier long-métrage de Franju s’inscrit dans la continuité de ses documentaires. C’est La tête contre les murs (1958) inspiré d’un roman d’Hervé Bazin. L'histoire raconte le calvaire d’un jeune homme, interné dans un asile, qui tente inlassablement de retrouver sa liberté. Autour des stars Pierre Brasseur et Paul Meurisse, on trouve les jeunes Anouk Aimée, Charles Aznavour et le tout jeune Jean-Pierre Mocky. « Un film qui n’est pas interdit de considérer comme le frère ainé de Vol au-dessous d’un nid de coucou » écrit Frantz Vaillant dans Georges Franju, Le dictionnaire d’une vie (Marest Editeur) Il n’est pas interdit non plus d’y voir aussi les premiers feux de la Nouvelle Vague. Derrière l’objectif, Franju remarque l’étrange beauté d’une quasi figurante qui se lève à la fin du film dans l’église. Sidération. Il prolonge la séquence au montage pour faire durer le plaisir. La jeune fille se nomme Edith Scob.
Les yeux sans visage puis Pleins feux sur l’assassin (1961), récit fantastique autour d’une disparition, une adaptation libre du célèbre roman de François Mauriac, Thérèse Desqueyroux (1962) avec Emmanuelle Riva l’autre muse de Franju ou encore Thomas l’imposteur (1965) d’après Jean Cocteau, l’un des premiers a avoir senti le génie poétique de Franju.
Mais le film préféré c’est Judex (1963). C’est le petit-fils du cinéaste Louis Feuillade qui lui propose ce scénario librement inspiré du Judex de son glorieux aïeul. Le cinéaste rêve depuis des années d’adapter Fantômas du même Feuillade mais face aux difficultés pour venir à bout de ce coûteux projet, il voit dans ce projet une façon de se consoler. C’est une « féérie mélodramatique » explique Franju à sa sortie. L’insuccès relatif de Judex et de ses films de façon général, fragilisera considérablement la suite de sa carrière. Georges Franju meurt en 1987 à l’âge de 75 ans.
Son cinéma reste encore aujourd’hui, là où son auteur se sentait lui-même si bien... à la marge.
Soirée Georges Franju sur Ciné + Classic avec Judex (20h50), Les yeux sans visage (22h20) et Thomas l’imposteur (23h50)
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