Emma, la dernière fois qu’on s’est vu c’était à Cancun pour Easy A, le film qui devait faire de vous une vedette. C’était hier…Oh mon dieu, pas pour moi. C’était quand ? L’été 2010, non ? C’est marrant parce que j’ai évidemment beaucoup appris entre Easy A et aujourd’hui, mais je ne pourrais pas vous dire si j’ai évolué, ou comment j’ai évolué, en tant qu’actrice. Je n’en ai sincèrement aucune idée… J’ai auditionné pour Spider-Man le jour où Easy A sortait au cinéma aux Etats-Unis et, après ça, tout a changé… J’avais une maison, avant. Depuis ce jour-là, je voyage un peu partout avec mes deux valises, comme une âme errante. Ces deux dernières années ont été merveilleuses, bien sûr, mais j’en ressors déboussolée. Tellement de changements, aussi bien dans mon métier que dans ma vie privée… Ça donne un peu le vertige.De Spider-Man à Innaritu (Birdman), de La Couleur des sentiments à Woody Allen, et bientôt Cameron Crowe… Vous avez traversé pas mal d’univers de cinéma différents en si peu de temps.   Je suis en train de prendre des cours de chant pour une pièce que je vais jouer à l’automne, une comédie musicale. Avec le chant, vous pouvez facilement observer votre courbe progression, voir d’où vous êtes partie et où vous êtes arrivés. Vous pouvez l’entendre, vous pouvez le voir, vous pouvez même le sentir dans votre respiration… Il n’y a pas de jalons dans le métier d’acteur, pas d’outil de mesure permettant d’évaluer si oui ou non vous avez progressé. Si vous regardez votre performance dans Easy A, par exemple, que vous la mettez côte à côte avec le personnage de Sophie dans Magic in the MoonlightLe problème, c’est que je ne peux pas me regarder à l’écran. Impossible. J’ai essayé, et ça ne marche pas. Je ne peux pas être objective. Peut-être qu’un jour je pourrais l’être, et ça me sera utile parce qu’effectivement on apprend beaucoup de nos efforts passés. Mais pour le moment, je ne me retourne pas.Sophie est un personnage de comédie classique : la jeune écervelée avec un chapeau en cloche…Presque un personnage de cartoon, oui. Mais vous ne pouvez pas "jouer" un cartoon. Je me suis donc efforcée de la voir comme une fille qui se sent à l’aise dans l’artifice, dans le show permanent, une innocente qui, si elle manipule son entourage, le fait pour "son propre bien". C’est très différent de tout ce que j’avais pu faire auparavant en comédie.Un film sur la magie et l’illusion est-il nécessairement un film sur le cinéma ?Hum… Vous me posez la question ?Oui.Mon Dieu, j’en sais rien. Mais c’est intéressant…J’imagine que ce n’est pas le genre de choses que Woody discute sur le plateau…(Elle explose de rire) Oh non. Un jour, on était assis ensemble, tous les acteurs, et on réfléchissait au script à voix haute. "Est-ce que c’est Stanley Talmingin ou Taplinger ? Est-ce qu’on doit l’appeler Mr Taplinger dans cette scène ? Et si c’était un renvoi à la scène d’avant, alors c’est Talmingin, non ?". Woody, qui s’impatientait, vient nous voir et dit : "Hey, c’est juste un film hein !". Et on tourné la scène, sans autre instruction de sa part.Toutes les actrices que j’ai interviewé qui ont travaillé avec Woody parlent du lien spécial et privilégié qu’elles ont avec lui. "Ce langage secret que seuls lui et moi connaissons". Toutes !Ahah, non il n’y a pas de langage secret que seul lui et moi connaissons ! On parlait de pièces de théâtre, de films, de musées à visiter, de poésie beaucoup. Je suis friande de poésie… Voilà toute l’étendue de nos rapports. Vers la fin du tournage, on se retrouve à contempler le ciel, un soir de pleine lune. Il me dit : "Cette lune, c’est… c’est incroyable ! C’est une boule, une gigantesque boule suspendue dans l’air. Pas un disque plat, non. Elle a l’air plate mais… mais c’est une boule ! Comment font-ils ça ? ". Je lui dis : "La science ?". Et il me répond : "La science, peut-être. Mais sûrement pas la biologie".  Voilà ! Une réplique de film de Woody Allen merveilleusement écrite au débotté. C’est souvent comme ça quand on lui parle ; on a l’impression d’être dans un de ses films.Dans "Woody Allen, a documentary", on voit Josh Brolin en pleine séance de torture sur le tournage de Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu, cherchant à savoir si Woody est satisfait ou non de sa performance. En panique…Beaucoup de gens paniquent. J’étais nerveuse au début mais je me suis aperçu que je comprenais sa personnalité… et certaines de ses angoisses (pas ses phobies hein, ses angoisses). La première semaine, j’étais persuadée que j’allais me faire virer. Mais certains acteurs ont paniqué tout du long… Et c’est parfaitement compréhensible. C’est une figure iconique dans nos vies, on veut être à la hauteur de ses dialogues, on veut lui plaire, et le plus souvent il n’est pas très démonstratif. Ou alors pour dire : "Ça sonne trop comme mes dialogues ! On dirait que vous êtes dans un film ! Arrêtez-ça tout de suite !". Bon, là, il faut se recomposer un peu, essayer de rester authentiques tout en préservant la musicalité du dialogue ; ça peut devenir très stressant…On peut au moins créditer Gangster Squad pour nous avoir montré à quel point le film d’époque vous allait bien…Woody m’en a parlé, au moment de l’audition, croyez-le ou non ! J’ai adoré mon look dans Gangster Squad mais j’en ai bavé parce qu’ils ont dû plus ou moins recréer mon corps. J’ai naturellement un physique longiligne, porte-manteaux ; sur moi, les fringues pendent dans la longueur, plus que je ne les porte. Mais pour faire croire que je ressemblais à Jessica Rabbit, pour que ça « tienne », ils ont rembourré le cadre métallique de mes costumes avec du plâtre. J’ai marché en canard pendant tout le tournage…Le débat publique sur vos cheveux n’est pas clos. Vous êtes blonde mais tout le monde pense que vous êtes naturellement rousse. La rousseur est-elle votre couleur de cinéma ? Qu’en pense Darius Kohndji (chef op de Magic in the Moonlight, ndr) ?Ahah, nous n’avons jamais parlé de mes cheveux avec Darius mais Woody m’a dit qu’il me préférait rousse parce que la caméra me préférait rousse. "Je ne te reconnais pas dans les Spider-Man, pour moi ce n’est pas toi" a-t-il ajouté, ce à quoi j’ai répondu : "Merci !" (rires). Mais c’est Judd Apatow qui a commencé. Il a voulu que je me teigne les cheveux pour SuperGrave, et depuis c’est resté. J’ai l’habitude de dire que je dois tout à Judd. Mais vraiment TOUT.Mais alors pourquoi ce chapeau dans Magic in the Moonlight ? Tout le temps, le chapeau…Il adore les chapeaux, particulièrement ces vieux chapeaux années 20. Qu’est-ce que je peux vous dire ? Il adore ça.Vous venez d’enchaîner avec le cru Woody 2015, pour le moment sans titre. Les mots "Muse" et "Scarlett Johannson" viennent à l’esprit…Vous pouvez oublier ça tout de suite. D’ailleurs, le ton du prochain Woody est très différent, beaucoup moins léger, et on n’a pas eu le même rapport lui et moi que sur "Magic". J’y suis beaucoup moins présente, également. Non, je vous assure, ça n’a rien à voir…Bill Murray vient de vous approuver pour une hypothétique version de Ghostbusters au féminin. Une réaction ?Je n’arrête pas d’entendre parler de ça. Malheureusement, je n’en sais pas plus, c’est juste un vote de confiance pour le moment (Merci Bill !). Mais qui ne s’est pas imaginé portant le costume de dératiseur des Ghostbusters, un fusil à protons dans les mains ? Un costume de dératiseur, pour moi, c’est le bonheur. Ça a l’air tellement confort. Interview Benjamin RozovasLe nouveau film de Woody Allen, Magic in the moonlight sort mercredi 22 octobre en salles. Emma Stone donne la réplique à Colin Firth un magicien hyper rationaliste qui tombe amoureux de cette rouquine libérée. Venue pour la démasquer, elle va progressivement mettre à mal toutes ses certitudes.