Première
par Thomas Agnelli
(...) ceux qui s’attendraient à un divertissement spectaculaire avec surenchère d’effets spéciaux et patriotisme post-11 Septembre en seront pour leurs frais. Le surnaturel ne fait ici que servir d’écrin à un drame humain, exactement comme dans un film de Shyamalan où l’essentiel, invisible à l’œil nu, réside dans le combat livré contre la peur et contre soi-même. Nichols retrouve Michael Shannon, déjà rôle principal dans Shotgun Stories et incarnation sublime du dérèglement psy depuis Bug (William Friedkin, 2007). (...) Bug et Take Shelter ont beau être deux films apocalyptiques plaçant en leur centre un Shannon névrotique, l’un s’impose presque comme l’antithèse de l’autre. Loin de toute tentation hystérique, Nichols traite de l’aliénation mentale avec une profonde empathie. Shannon est au diapason : son personnage, Curtis, à la fois stoïque et vulnérable, meurt dans ses cauchemars, pleure à son réveil, terrorisé à l’idée d’avoir hérité de la schizophrénie dont souffre sa mère et de l’infliger aux siens (à sa femme, aimante et compréhensive, interprétée par l’éblouissante Jessica Chastain ; et à sa petite fille, sourde-muette). À aucun moment il ne se retournera contre eux, exprimant moins la démence furieuse d’un Jack Nicholson dans Shining que l’impuissance tendre d’un petit garçon seul face à ses démons, bouleversé par le regard de sa fille qui, elle non plus, n’a pas les mots pour exprimer ce qu’elle ressent. Devant l’imminence de la fin du monde, réelle ou virtuelle, Shannon adopte le même affaissement fataliste des épaules, la même tristesse enfoncée dans l’œil et la même colère rentrée que Richard Chamberlain dans La Dernière Vague, de Peter Weir, autre film catastrophe à taille humaine auquel on pense beaucoup. Si vous avez toujours du mal à retenir les dernières répliques des films, vous n’êtes pas près d’oublier celle, pétrifiante, de Take Shelter.