Mon amie Victoria

D’emblée, la voix off nous prévient, ça va mal se terminer. Nous voilà donc conviés au désastre d’une vie, celle d’une fillette noire d’origine modeste qui paiera au prix fort son éphémère passion pour un garçon des beaux quartiers. Traversé de vibrations romanesques et poignantes (très beau personnage de jeune père responsable), entre mélo sacrificiel et fable sociale, le film passe pourtant un peu à côté de son sujet en confiant à cette voix off un rôle explicatif qui empiète sur la liberté du spectateur de ressentir les choses.

"Mon amie Victoria" renvoie ainsi irrésistiblement au chef-d'oeuvre de Douglas Sirk, "Mirage de la vie". Pas seulement par ses thèmes, mais aussi par le doute métaphysique qu'il laisse planer sur toutes les activités et les passions humaines.

Un voyage intemporel sans tambour ni trompette, mais un sens admirable du récit.

Cette adaptation subtile d'un roman de Doris Lessing évite toute forme de manichéisme pour dénoncer un racisme ordinaire par le biais d'une fable sociale solidement charpentée.

Civeyrac filme avec douceur et retenue et montre avec beaucoup de justesse les liens entre le libre arbitre de chacun et les contraintes extérieures.

Civeyrac tire un mélodrame aérien en apparence distant, voire clinique, qui travaille moins à l’irruption des sentiments qu’à leur refoulement. Il choisit de faire de son héroïne une force brute, secrète, un visage à l’opacité telle qu’il semble insensible aux malheurs.

Instillant à sa mise en scène d’élégants jeux d’échelles et d’actualisations qui décrivent ce qui se transmet, de génération en génération, d’insidieux mécanismes et représentations, le cinéaste délègue son rôle de conteur à une figure de narratrice embarquée, la sœur adoptive aux velléités d’écrivain de l’héroïne.

Ce n’est pas une success-story : il narre une galère ordinaire où, la plupart du temps, la routine est vécue comme un enlisement et l’imprévu comme un poids avec lequel il faut composer.

Malgré d'excellents interprètes, le film n'est pas toujours convaincant, peut-être parce que le réalisateur lui-même le voit sous un angle trop sociologique et accentue le déterminisme des personnages dans ce sens, au lieu de leur faire confiance et de leur laisser prendre le dessus.