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Par un concours de circonstances, deux copines (Naomi Ackie et Alia Shawkat), qui bossent comme serveuses dans des galas mondains, se retrouvent invitées sur l’île privée d’un magnat de la tech (Channing Tatum), en compagnie d’une poignée de riches fêtards. Les deux jeunes femmes n’en reviennent pas de leur veine : l’île est paradisiaque, la bouffe délicieuse, le milliardaire adorable, ses amis très accueillants, le champagne coule à flot et les joints sont un peu plus gros chaque jour. Petit à petit, pourtant, les repères temporels commencent à se brouiller, l’ambiance devient de plus en plus cotonneuse…
Ça va mal tourner, quelque chose va déraper, on le pressent. On le sait, même. Déjà parce qu’on lit les journaux et que l’hédonisme autarcique faussement paradisiaque que met en scène l’actrice Zoë Kravitz (Mad Max : Fury Road, Big Little Lies, Kimi…) dans son premier film de réalisatrice évoque dès l’énoncé de son pitch l’affaire Jeffrey Epstein – il l’évoquait encore plus quand son titre était l’autrement plus cash et provoquant Pussy Island (« L’Ile aux chattes »). Si on devine qu’un twist nous attend et que le rêve risque de virer au cauchemar, c’est aussi parce qu’on est allé au cinéma ces dernières années et qu’on a vu Get Out, Midsommar, Don’t Worry Darling, toute la vague de la folk horror passée à la moulinette chic du studio A24, mais aussi les histoires de revanche féministe, de Promising Young Woman à Assassination Nation, sans oublier les satires sur les ultra-riches perdus dans leurs bad trips insulaires, type Glass Onion ou The White Lotus.
Blink Twice ne sort donc pas de nulle part, et pourrait souffrir de figurer dans la queue d’une comète ayant commencé sa course quelque part autour de 2017, au moment des débuts du mouvement #MeToo et du triomphe de Get Out. Mais malgré l’overdose de références, malgré cette grosse sensation de déjà vu, malgré même les nombreuses inflexions scénaristiques passant au forceps (difficiles à détailler ici sous peine de gros spoilers), le film agrippe le spectateur, par sa séduction clippesque très assumée (belle photo flashy et percutante d’Adam Newport-Berra, qui a notamment bossé sur Euphoria) et l’énergie rageuse de la métaphore filée par Zoë Kravitz autour du trauma, de la mémoire, de l’oubli, du pardon, et des larmes de crocodiles versées par certains prédateurs lors de repentances médiatiques bidons. Ce sont moins ici les révélations et les coups de théâtre qui comptent que la manière ludique dont Zoë Kravitz agence les pièces du puzzle (les gros plans obsédants sur les visages de ses comédiens qu’elle adore manifestement, l’amoncellement de mauvais présages, le spotting musical excitant) dans un climat finalement assez envoûtant de volupté, de menace et de colère.