Toutes les critiques de Au Dela De La Gloire

Les critiques de la Presse

  1. Fluctuat

    Sorti en salles en 1980 dans une version de 1h53, Au-delà de la gloire narre l'expérience de quatre GI's américains et de leur sergent perdus en pleine seconde guerre mondiale. Mais Samuel Fuller n'était pas content de ce premier montage trop court, restituant imparfaitement un récit largement inspiré de son expérience vécue. Vingt ans après, un remontage de près de trois heures est publié en DVD.
    "A la guerre, la seule chose qui compte, c'est de survivre."Controversé pendant de nombreuses années, Samuel Fuller (1912-1997) est devenu aujourd'hui un cinéaste indispensable. Fini le temps où la critique des années cinquante voyait en lui un homme trop à droite, un Américain idéaliste méritant d'être condamné. Américain, Fuller l'a toujours été et le restera, même après sa mort, ses films parlant encore et encore en son nom. Trop à droite ? La question fut toujours mal posée parce qu'au fond elle ne l'a jamais intéressé. C'est bien sûr grâce aux Cahiers du cinéma, et par l'amour fou de quelques critiques que l'on disait alors aussi trop à droite, que Fuller est « né » en France. C'est par l'intelligence des Truffaut, Godard ou surtout Luc Moulet (avec qui Fuller entretint une longue correspondance) que les films de Fuller furent révélés, que l'on déconstruisit avec précision les jugements négatifs dont on le taxait à tort, et qu'avec lyrisme on fit l'éloge de son cinéma.Partir du journalisme
    Godard, le plus « disciple » de tous en ces années Nouvelle Vague (des références d'A bout de souffle à l'apparition de Fuller dans Pierrot le fou), partage avec son cousin américain la même obsession du sujet. Chacun, tout aussi iconoclaste que marginal dans ses rapports au cinéma et à la production (Fuller ne s'est jamais opposé aux studios mais a toujours marché avec, de côté, en gardant un maximum de liberté), est attaché au sujet du film comme élément fondamental. Chez Fuller, le sujet était lié au rôle majeur que prenait l'histoire. Raconter, faire le récit de quelque chose, des hommes, de leurs aventures, c'était se mettre en mouvement, inviter au questionnement, faire preuve, trace de ce monde. Serge Daney l'avait écrit, Sam Fuller était un cinéaste « obsédé par l'idée d'actualité », il filmait en donnant l'impression que « personne n'avait filmé avant lui ». Surtout traversés par l'obsession de leur auteur pour la vérité, les films de Fuller se donnent souvent à voir comme une monstration de faits (même s'ils restent loin d'une idée restrictive du documentaire).La vérité partielle, les faits, l'idée que la vie est composée d'une somme de multiplicités, de contraires, de paradoxes, reflètent certains des principes majeurs du cinéma de Fuller. Le cinéaste disait lui-même : « La vie est multiple, elle peut être comprise de mille façons, et mes films doivent l'être également. Ils sont fait pour ça, pour rendre compte de ce qui est incompréhensible, pour montrer le réel dans sa diversité ». Cette approche du cinéma, Fuller la doit beaucoup à son passé de journaliste. Un passé pour lequel le cinéaste a toujours gardé des souvenirs très vifs, intenses et émus. Pour lui, rien ne valait la satisfaction de lire son nom au pied d'un article. De ses articles, qui étaient devenus chroniques puis nouvelles et enfin romans, Fuller avait donc conservé une certaine lucidité face au réel. Une manière d'appréhender le monde selon un principe de variation des points de vue en fonction des individus. Pour lui, chacun a ses motivations, sa propre vérité, et aucune n'a plus de valeur que l'autre.Partir du journalisme, c'était donc se situer dans l'actualité, mais aussi être en contact direct avec le monde, sa brutalité, sa violence. Et le cinéma de Fuller, c'est connu, est réputé pour sa violence à laquelle les hommes répondent de façon mimétique ou qu'ils subissent comme si le monde mettait à l'épreuve leur courage. Cinéaste « violent » donc, mais pas sans raison. C'est là où je voudrais aller ici. La violence chez Fuller, sans dériver dans son analyse car d'autres l'ont abondamment décrite avec précision, a outre le journalisme une origine annexe. Ce point de référence, d'achoppement dans l'histoire personnelle de Sam Fuller, c'est sa participation à la seconde guerre mondiale. Enrôlé sous l'unité Big Red One, Fuller a connu une vie de simple soldat. Du débarquement en Algérie en 1942 jusqu'à l'Allemagne en 1946, le cinéaste est passé entre temps par la Sicile, la Belgique, la France et la Tchécoslovaquie. Il a survécu au D-Day sur les plages normandes, et, fin du périple de la fin du monde, a été envoyé libérer, tout en les découvrant, les camps de la mort à Falkenau. Ce traumatisme historique que Godard a souvent pris comme acte de décès du cinéma, pour ne pas avoir été filmé - disait-il -, son absence d'image, Fuller l'a donc vécu, et même… filmé.Film de story teller
    Fuller l'a filmé deux fois. La première, c'était lors de la découverte des camps. Fuller, muni d'une caméra, comme d'autres G.I à l'époque (citons parmi d'autres cinéastes George Stevens), à qui l'armée américaine avait fourni du matériel afin d'utiliser de diverses manières ces stocks d'images brutes, avait filmé la sortie des corps, les réactions des soldats, des villageois. C'était donc à Falkenau, Fuller découvrait en même temps qu'il filmait ; derrière l'oeilleton, comme protégé, il ne pouvait encore saisir toute la dimension de l'horreur qu'il avait sous les yeux. Ces images, Fuller a mis longtemps avant de pouvoir les montrer (le film a été diffusé sur Arte il y a quelques mois). La seconde fois que l'homme, devenu cinéaste, a montré l'évènement, c'était en 1980, enfin au cinéma, et le film s'appelait The Big Red One (ou ici Au-delà de la gloire).A l'époque, le film est montré à Cannes, il dure 1h53. Ce projet, qui hantait Fuller depuis ses premiers films (sa filmographie compte plusieurs films de guerre, notamment The Steel Helmet, le premier film sur le guerre de Corée, ou encore Fixed Bayonets, Hell and High Water, China Gate, Verboten !), le cinéaste a mis longtemps avant de pouvoir enfin le réaliser. Après une première mise en chantier en 1957, le projet était abandonné. On voulait John Wayne dans le rôle titre, mais Fuller refusa d'avoir un acteur devant l'héroïsme duquel son film devait plier. Mis en suspens, The Big Red One devint un roman qui, plus tard, servira de matériau de base au scénario. Tout passe d'abord par la langue et les mots chez Fuller : c'est le propre du conteur, du story teller.1h53, pour un roman visiblement volumineux, quelque chose n'allait pas. Fuller ne pouvait retranscrire de façon aussi pressée et elliptique la mise en fiction de ses souvenirs de guerre. En effet, on apprend immédiatement que la copie est tronquée, que les cadres de chez Lorimar (producteur et détenteur des droits à l'époque) n'ont pas compris, ils ont coupé. Tel quel, le film contenait déjà les fragments d'une épopée qu'on avait jamais contée, pas comme ça, c'était différent du chef d'oeuvre de Peckinpah Cross of Iron (que Fuller aurait d'ailleurs aimé adapter). Malgré la cohérence du montage, il manquait manifestement quelque chose à l'oeuvre. Tout de suite la légende naquit : de Fuller lui-même, de sa version, d'après la totalité de ce qu'il aurait filmé, et qui durerait quatre heures.Légende inachevée
    C'est connu, les légendes ne sont que des amplifications de la réalité, et pour ce cinéaste si scrupuleux de vérité, il semble pour une fois qu'il y ait eu une erreur de jugement. C'est en 1999 que Richard Schikel (critique et historien du cinéma) et Bryan Mac Kenzie (monteur), après avoir découvert une bande démo de plus de trente minutes où figuraient des scènes inédites du film (cette démo est présente sur le DVD), commencèrent à révéler l'actuelle vérité sur The Big Red One. Rapidement, arrivant à convaincre la Warner (chez qui il y aurait de nombreux admirateurs du cinéaste) alors détentrice du film, et sur la base du scénario de la version longue écrite par Fuller lui-même, les deux hommes se lancent dans le projet de remonter le film à partir du maximum d'éléments possibles. La bande démo contenait déjà un matériau conséquent, mais il fallut encore chercher d'autres bobines, souvent poussiéreuses et dispersées, pour entreprendre ce qui 24 ans plus tard allait devenir The Big Red One, The Reconstruction.Outre un travail de remontage déformant peu le montage original de Fuller, puisqu'il s'agissait d'introduire les scènes manquantes dans la continuité du récit, la production de The Reconstruction présente aussi un important travail de redéfinition de l'image, de mixage son et musique (le tout expliqué dans les bonus). En collaboration avec la famille de Fuller (sa femme et sa fille), Schikel et Mac Kenzie arrivèrent ainsi, après quatre années de travail, à une version de 156 minutes, un montage au plus proche, probablement, de ce qu'aurait voulu Fuller. Certaines scènes, notamment celle du du débarquement à Alger, toutes présentes et commentées en bonus sur l'édition DVD, n'ayant pu être introduites pour des raisons telles que des ruptures de ton, de rythme, de récit ou encore pour la faiblesse de leur qualité technique. En cela, la présentation de ces scènes sur le DVD est une manière très informative et judicieuse pour se pencher sur les choix de Mac Kenzie et son travail de monteur. Tout en donnant à l'oeuvre une ampleur encore plus importante, et outre le fait de faire découvrir le rôle tenu par Guy Marchand et son opposition au pétainisme, ces séquences supplémentaires ouvrent The Big Red One. Elles donnent l'ampleur de cet immense chantier dans lequel s'était jeté Fuller.Si The Reconstruction est certainement fidèle aux voeux de Fuller, et si l'édition DVD est à la hauteur de toutes les espérances de par l'ensemble des bonus fournis, le film restera malgré tout inachevé. La légende des quatre heures de film Mac Kenzie la défait, ils n'ont jamais atteint cette durée alors qu'ils ont a priori trouvé toutes les bobines disponibles. The Big Red One était un projet pauvre (tourné avec peu de moyens, beaucoup en Israël, un peu en Irlande), mais immense par son ampleur et sa place dans la carrière du cinéaste. Présentée en 2004 dans la section Cannes Classic, cette renaissance montre enfin la dimension unique de cette épopée.Principe de survie
    Inspiré des souvenirs de Fuller, The Big Red One montre l'errance et le combat de quatre jeunes GI's et de leur sergent. Quatre cavaliers de l'apocalypse, de l'Algérie à l'Allemagne, dans une épopée telle que Fuller l'avait vécue, ou plutôt y avait survécu. Chaque personnage, Griff (Mark Hamill) le sensible, Vinci (Bobby Di Cicco) le roublard, Johnson (Kelly Ward) l'innocent, et Zab (Robert Carradine) l'écrivain, le journaliste fumeur de cigare, le plus alter ego du cinéaste, enfin le sergent (Lee Marvin) figure de mort, représentant un fragment de la personnalité de Fuller. Le film, ponctué de moments d'attente, de désoeuvrement et de batailles, fonctionne sur un principe de répétition et de cassure. Là où The Reconstruction devient passionnant, c'est qu'il ne fait que prolonger ces moments en les accentuant. Plus de bataille, plus d'attentes, plus de personnages croisés et disparus alors que le groupe de miraculés survit à tout. Mieux, il fait que chaque élément du récit trouve sa pleine correspondance. Tel Schroeder, le sergent nazi, symbole de l'ennemi, entrevu dans la version courte, et personnage à part entière dans The Reconstruction, devenant un écho à Lee Marvin, comme un double de l'autre camp, portant ses propres motivations, sa propre vérité.The Big Red One reconstruit devient enfin cet immense film de guerre, peut-être le plus grand jamais tourné. Bien que pour Fuller on ne pouvait prétendre à une véritable légitimité du genre (« Pour faire un vrai film de guerre, il faudrait tirer de temps en temps sur les spectateurs, derrière l'écran, pendant les scènes de combat »), le film développe une logique de l'expérience inédite. Dans The Big Red One, point de philosophie ou de métaphysique sur la guerre, ce que filme Fuller c'est un principe de survie, à travers un récit où la réalité est légende et les individus sont des symboles. Comme l'écrit Olivier Amiel, « le cinéaste filme une légende, mais cette légende est le meilleur moyen (…) de rendre réellement compte de la réalité ». Ce qui compte c'est l'honnêteté de la représentation, l'exactitude des personnages dans un contexte qui les dépasse. Fuller filme la fatigue, l'usure, l'ennui de ses héros tout en ne perdant jamais le fil ténu de leurs relations quotidiennes. Des liens portés par des fonctions essentielles telles que la loyauté, l'amitié et surtout une logique du combat où le courage renvoie moins à sa célébration qu'à la réalité du terrain. Pourtant, si Fuller refuse toute interprétation, celui que Daney appelait « l'éducateur fou » laisse un message évident sur la guerre. Régulièrement posée par Griff, et métaphorisée par l'histoire du Sergent, cette question est entêtante : à la guerre, on « tue » ou on « assassine » ? Fuller répond encore et toujours par le contexte, son absurdité mais surtout sa logique, élevé au point de vue sensible à travers le personnage de Lee Marvin. La véritable question posée par Fuller est ainsi ramenée à son trait essentiel, le principe de violence mimétique : la guerre, c'est tué ou être tué.The Big Red One, avec son récit en boucle brisée, représente probablement au mieux cette idée d'une guerre traduite par le prisme de l'actualité. Pourtant, chez Fuller, le réalisme n'est jamais une représentation documentaire du monde. Ainsi, une scène comme le débarquement en Normandie dont la boucherie est figurée par le mouvement des vagues virant au rouge et une montre, dévoile davantage une conscience métaphorique de la réalité qu'un culte morbide du réel. Plus encore, à la violence, la disparition et la mort, Fuller préfère répondre par le rire. Ce rire qui sauve de l'horreur, comme une preuve de sa survie dans l'illusion d'un carnage à balles réelles. Une illusion qui n'est que ce monde déjà passé dans l'au-delà des vivants, dans lequel Lee Marvin, que Fuller appelait « la mort incarnée », a guidé tel le passeur ces quatre survivants. Ces innocents coupables, victimes du réel, étant devenus eux-mêmes des spectres (l'identification à l'autre, disait Daney, leur est impossible), errant entre les morts et les vivants.Au-delà de la gloire, la version inédite
    (The Big Red One, The Reconstruction)
    Un double DVD Warner Home Vidéo
    Un film de Samuel Fuller
    Etats-Unis, 1980, version remontée par Richard Schikel et Bryan Mac Kenzie en 2004
    Durée : 156min
    Sortie ventes France : 1er juin 2005[Illustrations : The Big Red One : 1. Affiche du film lors de sa sortie en France en 1980 (détail) ; 2. Pochette du DVD version US ; 3. et 5. Lee Marvin - Photos © Warner Home Vidéo; 4. Pochette du DVD Warner Home Video (juin 2005)]
    - Lire la chronique du DVD 40 tueurs (Samuel Fuller, édité par Carlotta en 2004)