Le showrunner Peter Gould nous livre quelques secrets sur la sixième et ultime saison de Better Call Saul, et ne "ferme pas la porte" à une autre série dérivée de Breaking Bad.
À l’origine, il y a Saul Goodman, avocat véreux né dans l’esprit de Peter Gould durant la saison 2 de Breaking Bad. Celui qui était alors scénariste en chef de la série imagine le personnage secondaire parfait, tchatcheur au bagou dingue et voleur de scènes, toujours prêt à blanchir un paquet de billets pour le compte de Walter White et de Jesse Pinkman. « Quand on pensait à un truc un peu too much, un peu trop bizarre pour Breaking Bad, on se disait qu’on garderait ça pour le spin-off avec Saul. C’était une vanne, bien entendu. Sauf que plus on se rapprochait de la fin de la série, plus on se rendait compte qu’on ne rigolait pas tant que ça », se souvient Gould. Quelques années plus tard, il suit l’intuition de son compère Vince Gilligan et cocrée avec lui Better Call Saul, prequel de Breaking Bad sur le destin sinueux de Jimmy McGill/Saul Goodman. « Ce qui a tout changé pour nous, c’est la performance de Bob Odenkirk : il est parti d’un personnage un peu simpliste et lui a donné corps avec sa vulnérabilité et sa sincérité. C’était trop tentant de voir où on pouvait aller à ses côtés. »
Deux saisons auront suffi à faire de Better Call Saul un shoot sériel d’une pureté absolue, débarrassé des tics d’écriture de son aînée. Du Breaking Bad à l’os, presque apaisé, où l’on observe (tout) doucement un homme incompris emprunter les mauvais chemins, alors que les notions de justice et de morale se font de plus en plus floues.
Au milieu de la saison 3, Gilligan a laissé à Gould le soin de s’occuper seul de la série. À l’aube de la conclusion de Better Call Saul (le premier épisode l’ultime saison 6 sera diffusé le 19 avril prochain en France), l’homme décrit son stress mais n’en laisse rien paraître au téléphone. Toujours en montage, il avoue regarder le soir venu « beaucoup de séries comiques. Je me suis refait l’intégrale de Mr. Show With Bob and David parce que je suis fan de Bob Odenkirk. Faut croire que je n’en ai pas assez de le voir sur le tournage à longueur de journée (Rires.) J’ai revu un peu de The Larry Sanders Show aussi, ça me fait du bien. Mais pas de dramas, ça me donnerait l’impression d’être encore au boulot ! Enfin… à part Le Bureau des légendes. Incroyable cette série, j’ai vu pratiquement tous les épisodes deux fois. »
Peter Gould évoque pour nous la difficulté d’imaginer la fin de Better Call Saul, l’incident cardiaque de Bob Odenkirk qui a interrompu le tournage, l’évolution de Jimmy McGill/Saul Goodman et la possibilité d’une autre série située dans le même univers.
On arrive à la fin de Better Call Saul et potentiellement de tout l’univers Breaking Bad. Comment vous sentez-vous ?
Ouh la la ! Je pense que je n’ai pas encore digéré tout ça. Il nous reste encore pas mal de boulot de montage. Mais je peux vous dire que quand ça va me tomber dessus, ça va faire très mal. Better Call Saul et Breaking Bad ont changé ma vie. Ma consolation, c’est que je suis super fier du travail qu’on a fait. Sans en rajouter, je pense vraiment que c’est notre meilleure saison à ce jour. Et elle démarre en trombe, croyez-moi.
Vous avez abordé cette ultime saison différemment des autres ?
Oui et non. Évidemment, la pression est énorme. Mais j’ai dû mettre ça de côté dans un coin de ma tête et avancer scène par scène… tout en m’assurant de cohésion globale avec le reste de la série. Ce qui se passe dans le monde en ce moment m’a au moins appris à compartimenter et à gérer mon stress (Rires.).
Vince Gilligan s’était éloigné de Better Call Saul depuis la saison 3. Est-il revenu pour clore la série ?
Absolument, il était là à chaque instant dans la salle d’écriture. Et il a réalisé plus d’épisodes cette saison qu’il ne l’avait jamais fait. Il était ravi, mais c’était aussi une demande de ma part de le voir revenir. Je suis un peu sentimental ! Et c’était important qu’on finisse ensemble ce qu’on a commencé.
Ce n’était pas un peu bizarre de vous retrouver à deux alors que vous étiez seul aux manettes depuis plusieurs années ?
C’était étrange. Notre alchimie a un peu changé, il a fallu une ou deux semaines pour retrouver notre rythme. Mais j’ai tout appris du métier de scénariste de série avec Vince. Et si on a des personnalités assez différentes, nos méthodes sont très, très similaires. Il y a une osmose. Sauf que le Covid nous a obligés à travailler à distance pendant une bonne partie de l’année. Pas évident de s’y habituer et ça a évidemment compliqué les choses. C’était comme d’essayer de danser sur un sol très mouillé : c’est faisable, mais c’est un peu plus dur et peut-être moins élégant (Rires.)
Difficile de ne pas évoquer l’accident cardiaque dont a été victime Bob Odenkirk sur le tournage…
Je n’étais pas sur le plateau ce jour-là. Vince était en direction de l’hôpital, et c’est lui qui m’a appelé pour m’annoncer ce qui c’était passé. Horrible, le moment le plus flippant de toute ma vie. Proprement terrifiant. Bob s’est heureusement remis à une vitesse pas incroyable. Si on l’avait laissé faire, il aurait été de retour dès la semaine d’après ! Le truc, c’est que c’était totalement inattendu parce que Bob est en excellente forme, il prend super soin de lui. C’était la dernière personne à qui j’aurais pensé que ça pouvait arriver. Quand il est enfin revenu, l’atmosphère avait changé sur le plateau. Ça a rassemblé toute l’équipe et on a collectivement revu nos priorités. Il y a eu une sorte de retour au réel teinté d’optimisme.
Breaking Bad était une série qui tendait toute entière vers sa conclusion, à l’aboutissement de la trajectoire de Walter White. Better Call Saul est évidemment différente à cause de son statut de spin-off et du moteur même de la narration. Comment met-on un point final à une série comme celle-là ? On a l’impression qu’on pourrait suivre ces personnages à l’infini.
Je suis totalement d’accord avec vous. C’est une série très différente de Breaking Bad et notre fin le sera également. Je crois, sans me vanter, qu’on a trouvé la façon idéale de terminer la série. À mon avis, personne ne sait vers quoi Better Call Saul se dirige. Il y a de vraies surprises, mais c’est tout à fait organique, ça s’inscrit dans l’ADN de la série. C’est de ça dont je suis le plus fier. Je suis très curieux de voir si certains vont réussir à deviner où on va après le premier épisode, parce que cette saison est encore moins prévisible que les précédentes.
La dernière fois qu’on a échangé, vous vous demandiez ce qui restait de Jimmy dans le personnage de Gene [l’identité qu’adopte le personnage dans les séquences en noir et blanc qui se déroulent après Breaking Bad]. C’est sur ça que cette saison va se focaliser ?
Je vais essayer de vous répondre sans trop en dire ! C’est quelqu’un qui a eu de nombreuses identités : Slippin' Jimmy, Jimmy McGill, Saul Goodman, Gene… Quand on porte autant de masques et qu’on n’arrête pas d’en changer, qu’est-ce qu’il reste au fond ? Qui est-il vraiment ? On le découvrira en même temps que lui. C’est un personnage tellement fascinant, toujours poussé dans la mauvaise direction par un puissant sentiment d’insécurité.
Un type à qui on a toujours répété qu’il n’était rien, et qui tente désespérément de devenir quelqu’un. Au passage, il devient toxique pour ceux qui l’entourent.
J’aime bien la façon dont vous le formulez. Pour moi, il y a un paradoxe au coeur de la série : si vous avez désespérément besoin d’amour et de l’approbation des autres, alors ce désespoir peut vous empêcher d’atteindre votre but. C’est l’histoire d’un homme qui s’écarte du droit chemin parce qu’il veut être accepté, parce qu’il veut être aimé. Mais au fond de lui, il pense qu’il ne le mérite pas. C’est cette ambivalence que j’aime tant. C’est un moteur narratif sans fin.
On sait qu’une partie des personnages de Better Call Saul survit car il s’agit d’un spin-off. Mais le sort de beaucoup d’autres reste un mystère puisqu’ils ne sont jamais évoqués dans Breaking Bad. En matière d’écriture, ça a été un casse-tête de justifier leur absence ?
Si vous saviez ! On s’est mis de sacrés bâtons dans les roues avec Breaking Bad ! Je comparerais ça à résoudre un Rubik's cube de la taille d’une Volkswagen, vous voyez le genre ? D’un côté, il y a l’écriture pure - l’évolution et la trajectoire de ces personnages -, et de l’autre quelque chose de presque mécanique. On sait que certaines choses arrivent dans Breaking Bad. Le futur est écrit, mais comment y parvenir ? Comment concilier la dramaturgie et l’obligation de coller à une autre histoire ? Ça a été le plus grand challenge de toute cette série, et plus on se rapproche de la temporalité de Breaking Bad, plus il faut répondre précisément à des tas de questions. C’était effectivement un casse-tête, mais au final je suis ravi de la façon dont tout ça se raccorde à Breaking Bad. À mon avis, c’est la saison la plus émouvante depuis le début. Je pense que tout le monde va s’y retrouver, même ceux qui n’ont pas fait attention tous les détails semés dans Breaking Bad. Mais si vous avez TOUT en tête, alors je peux vous promettre que ça va ajouter une dimension supplémentaire.
C’est vraiment la fin ? J’imagine qu’il est encore tout à fait possible de créer une autre série dans cet univers. Vous en avez envie ?
Je travaille sur cet univers depuis 2007. Ma fille avait 7 ans quand j’ai commencé, elle va en avoir 22 ! J’ai adoré chaque minute de ce boulot, mais j’ai envie de faire autre chose. Je suis d’accord, ces personnages sont si complexes que je verrais très bien d’autres histoires à raconter sur eux. Mais pour le moment, j’ai besoin de faire autre chose… avant peut-être d’y revenir. Je ne ferme pas la porte !
Better Call Saul saison 6, à partir du 19 avril sur Netflix. La deuxième partie de la saison sera diffusée mi-juillet.
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