Elle crève l’écran dans ce beau récit d’émancipation d’une ado de 17 ans, fille de parents d’origine berbère, à Neuilly dans les années 90. Rencontre.
Comment est née votre envie de devenir comédienne ?
Zoé Adjani : C’est une bonne question que je me pose encore souvent ! (rires) Je viens d’une famille de cinéma. Ma tante Isabelle évidemment mais aussi ma mère qui a été directrice de production pour Les Films d’Ici et mon beau- père steadycamer et chef opérateur. Lui m’amenait sur tous ses plateaux. A 12 ans, je me suis par exemple retrouvée à passer trois mois au Maroc sur La Source des femmes. Donc oui, j’ai toujours baigné dans ce micro-monde.
Quels sont les films qui ont compté pour vous plus jeune ?
Peau d’âne que j’avais découvert à la Cinémathèque avec ma mère, West side story, le cinéma de Clouzot mais je pourrai aussi citer Canines de Yorgos Lanthimos pour ses silences, son rapport au corps ou encore Evolution de Lucile Hadzihalilovic pour le mystère qui l’entoure…
Vous avez pris des cours de théâtre dans votre enfance ?
Enfant hyperactive, ma mère m’avait inscrite à des ateliers théâtre… Puis on a déménagé de la région parisienne dans le sud de la France et là j’ai eu la chance de rencontrer une prof de français géniale qui nous a fait écrire une pièce qu’on a ensuite joué. C’est là où s’est affirmée plus précisément mon envie d’embrasser un métier artistique. J’ai fait du cirque, de la danse classique pendant 6 ans. Puis un lycée spécialisé théâtre.
Et, au même moment, vous vous retrouvez à tourner votre premier film, Cerise de Jérôme Enrico…
Oui, j’ai 15 ans. Je suis au lycée quand la directrice de casting Coralie Amadeo me contacte via Facebook. Et je décroche cette audition. Le film est un échec commercial mais j’apprends énormément. Je comprends par exemple, même si j’ai adoré l’expérience, que je ne suis pas forcément faite pour cet univers de comédie. Par contre, c’est désormais une évidence : je veux en faire mon métier. Après le Bac, j’essaie de passer le Conservatoire mais j’abandonne vite. Et à 18 ans, après avoir touché le pactole du film. Et je décide de partir deux ans aux Etats- Unis à l’université d’Arizona pour apprendre l’anglais et en Amérique du Sud où je tourne un film sous la direction de mon petit ami de l’époque, Bulla (qui n’est pas encore sorti en salles) où je suis à la fois comédienne, costumière… Je comprends que je suis plus à mon aise dans ce cinéma d’auteur, d’engagement. Et quand je rentre en Europe, je décide de prendre un agent et de me lancer vraiment
C’est à ce moment- là que vous rencontrez Kamir Aïnouz, la réalisatrice de Cigare au miel ?
Oui, il y a 2 ans et demi. Elle avait vu Cerise et m’a expliqué qu’elle avait été séduite mon énergie. On s’est rencontré. Elle m’a donné le scénario de Cigare au miel et tout est ensuite allé assez vite. Car j’accroche immédiatement à cette histoire, fortement inspirée par la vie de Kamir
Cigare au miel : un beau récit d'émancipation féminine [critique]Comment abordez- vous ce rôle de Selma ?
Je n’ai pas de méthode de travail préétablie mais je sais que la montagne à gravir est énorme. J’ai commencé par faire un travail de reconstitution du passé de Selma, jusqu’au moment où débute le film. Pour cela, je me suis appuyée sur les livres que Kamir avait lu dans sa jeunesse, ses photos de famille. Je lui ai posé beaucoup des questions sur sa relation à sa mère. Selma est tout le temps en force et se perd là- dedans. Elle n’a pas les codes pour être une jeune femme à la fois forte et sensible. Et elle se prend en pleine tronche le fait qu’elle peut vite passer pour une catin aux yeux de ses parents et une vierge effarouchée pour ses camarades. Il y a toujours une ambiguïté qui règne et qui est d’autant passionnante qu’elle passe avant tout par des silences et des regards que par des dialogues. Ca vous ouvre un espace incroyable comme comédienne.
Vous échangez sur votre rôle pendant le tournage avec vos parents, votre tante ?
Certains soirs, à la fin du tournage, j’avais ma mère ou ma tante au téléphone mais la plupart du temps, je n’arrivais plus à me souvenir des scènes du jour ! Comme une amnésie. Après huit mois de préparation, je lâchais tout et une fois la scène terminée, elle était comme chassée de ma mémoire. Et ce d’autant plus que je n’ai vu aucun rushe. Une volonté de ma part comme de Kamir. Je n’avais donc aucun recul sur ce que je faisais et c’était un atout pour moi. Rien ne pouvait venir me perturber.
Avez-vous un film préféré parmi ceux qu’a tournés votre tante ?
Le premier que j’ai vu, c’est La Journée de la jupe à 8 ans. Ensuite L’Eté meurtrier et La Reine Margot. Et puis… c’est tout ! Mais par choix. Par peur du mimétisme. J’ai eu la chance de jouer avec elle Opening night donc j’ai pu voir de près combien cette femme est une actrice extraordinaire. J’ai une admiration folle et un grand respect pour elle. Mais je me protège. J’ai hâte de pouvoir être assez ancrée en moi pour me laisser envahir par tout le plaisir que j’ai à la voir jouer. Pour le savourer pleinement. Je ne veux pas qu’avoir vu ses films soit un fardeau.
Votre nom vous a ouvert ou fermé des portes ?
Il m’ouvre des portes pour les premiers rendez- vous car il y a une curiosité. Après, je sens qu’il me faut prouver deux fois plus que les autres pour être à la hauteur de ce fameux nom. Mais je le comprends parfaitement. Je n’ai tourné que deux films, je ne suis passée par aucune grande école de théâtre. Il est logique qu’on doute de ma légitimité. Et croyez- moi, je suis la première à douter. Ma construction d’actrice passe d’ailleurs par là. Et, à ce titre, la sélection de Cigare au miel à la Mostra de Venise a été un moment essentiel pour moi.
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