Vu également dans Superman, L'Exorciste 2, Les Hommes du président, et entendu dans Toy Story 3, le comédien est décédé à l'âge de 83 ans.
C'est un morceau de cinéma traumatisant qu'on se transmet de cinéphile en cinéphile, comme si on espérait l'exorciser en le passant à son voisin : la scène de viol de Délivrance, où un citadin parti faire du canoë sur une rivière se retrouve victime de deux sauvages consanguins dans la forêt. Rien de trivial ou de racoleur là-dedans : la force du montage de Boorman est de suggérer l'horreur de la scène, plus que de la montrer. La victime était jouée par Ned Beatty, acteur inoubliable, qui est mort le 13 juin, à l'âge de 83 ans, d'après Variety.
Avec son physique rondouillard et enfantin, la mauviette toute désignée du groupe, contrastant avec le musculeux Burt Reynolds ou les graves intellos binoclards joués par Jon Voight et Ronny Cox. Beatty avait 35 ans. C'était son premier rôle au cinéma. "Ned dissimulait une rage féroce sous son apparence chaleureuse, et cette rage pouvait se déclencher instantanément. Nous étions tous prévenus. Vu qu'il allait se faire sodomiser, nous le traitions avec déférence, un peu comme quelqu'un atteint d'une maladie incurable", écrit John Boorman, se souvenant du tournage de Délivrance, dans ses mémoires publiées en 2003. « C'était son premier film. Il naviguait dans des eaux inconnues, dans tous les sens du terme. J'ai dû le guider, vu que la technique ne lui était pas familière, mais il a été impeccable, dès le début. Il connaissait le personnage. Il lui appartenait." Si Boorman se souvient avec difficulté du tournage des scènes de canotage dans les rapides, il passe très rapidement sur la scène du viol, facile à tourner, selon lui, grâce au professionalisme de Bill McKinley, qui joue le "montagnard" violeur de Beatty : "Lui et Ned se sont mis d'accord sur ce qu'ils devaient faire. Ils ont passé beaucoup de temps ensemble. On aurait dit que l'acte qu'ils allaient accomplir les séparait du reste d'entre nous. Nous avons répété, et nous avons tourné cette scène comme n'importe quelle autre scène. Tout cela avait été parfaitement préparé, et exécuté avec calme", raconte le cinéaste. Avant de conclure, un brin glaçant toutefois, montrant que le rôle avait marqué Beatty au fer rouge : "Trente ans plus tard, des gens accostent toujours Ned dans la rue et lui disent : "vas-y, gueule comme un cochon !"
John Boorman : "Délivrance a été un tournant"Délivrance était donc le premier film de ce natif du Kentucky qui possédait paraît-il une belle voix, formée dans les choeurs de son église locale. Il a failli devenir choriste, mais s'est tourné vers le théâtre, avant de jouer dans le film de Boorman qui eut un énorme succès et lui ouvrit les portes de la télévision et du cinéma. Après Délivrance, il retrouva notamment Boorman pour L'Exorciste 2 : L'Hérétique (il parodiera son rôle dans Y a-t-il un exorciste pour sauver le monde ? en 1990 avec Linda Blair et Leslie Nielsen), et jouera Otis, l'homme de main idiot de Lex Luthor, dans Superman (1978) de Richard Donner et sa suite Superman 2. Entre autres, il était aussi la voix originale de l'ours Lotso dans Toy Story 3.
Il fut nommé à l'Oscar pour ce qui est peut-être sa meilleure performance : dans le grinçant Network : Main basse sur la télévision (1976) de Sidney Lumet, avec qui il avait tourné Les Hommes du président la même année, il joue -le temps d'une seule scène- un terrifiant magnat des médias qui délivre un speech hallucinant, aux dimensions prophétiques, sur la toute-puissance de la télé. "The world is a business, Mr. Beale. It has been since man crawled out of the slime", éructe-t-il, canalisant à travers lui l'archétype terrifiant du tycoon hollywoodien passé, présent, et à venir -tous les Charles Kane, les Picsou, les Rockfeller, les Elon Musk et les Steve Jobs. Inoubliable, à jamais.
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