Nonnesploitation
Capelight pictures / Koch Films/Tamasa Distribution

Le Nonne, Immaculée, La Malédiction l'origine : les bonnes soeurs reviennent en pleine forme dans le cinéma d'horreur.

Avec la sortie d’Immaculée avec Sydney Sweeney, ou encore l'arrivée imminente de La Malédiction : L'origine (en salle le 10 avril), la nonnesploitation n’est pas prête de faire ses adieux au cinéma.

Que signifie cet héritage ecclésiastique controversé ? De quoi s’inspire-t-il  ? 

Comme d’autres genres d’exploitation européens tels que le Western spaghetti ou le film Euro War, les films de religieuses tourmentées ont commencé à apparaître au milieu des années 1960 et à se réduire au début des années 1980. Avec un essor italien significatif, l’engouement s’est accentué à la sortie des Diables (1971) de Ken Russell produit et distribué par Warner Bros, en partie adapté du livre Les Diables de Loudun (1952) d’Aldous Huxley. Le sous-genre nonnesploitation s’entremêle à la naissance du giallo, entre thriller, horreur et érotisme, qui a connu un véritable succès dans les années 1970 en Italie. C'est à partir de cette décennie que l'effervescence contribue à l'appétit gargantuesque d'une audience, motivée par l'affront sans vergogne que brandissent ces films. 

Ce sous-genre se plaît à jouer de l’image des religieuses pieuses, quitte à la déformer jusqu'à l'offense. Même s’il invoque des thèmes sexuels, la transgression que soulève la thématique ne se cantonne pas à voir une nonne en porte-jarretelles, mais à son affiliation étroite avec le diable. Les religieuses possédées par des démons, clivent, par définition. Ces figures saintes sont en proie au pire. Les séquences de ces films terrorisent autant qu’elles scandalisent, notamment pour la perversion indomptable qui anime les nonnes, comme dans Narcisse noir (1947). Ces distorsions ont bien sûr éveillé l’émoi des religieux, qui s’indignent de l’outrage que leur font ces films. 

La nonnesploitation exposent ces femmes dans des diégèses autant sordides, qu’astucieuses, critiquant la répression de l’Église catholique et suintant la dépravation sur toutes les images saintes. Au fond, nonnesploitation exorcise le fantasme tant redouté de voir les femmes se comporter aussi mal que les hommes. De façon récurrente, ces films proposent les codes de l’enfermement ainsi qu’un système de jeux de clés, de verrous, de serrures, de portes ou de barreaux. 

Voici quelques échantillons de ces films :

Mère Jeanne des anges (1961)
Tamasa Distribution

Mère Jeanne des anges (1961) de Jerzy Kawalerowicz.

Mère Jeanne des anges (1961) est une fameuse adaptation du roman de Jarosław Iwaszkiewicz, toujours sur cette sordide histoire des possédés de Loudun, qui a déchaîné les passions. Dans une veine anticlérical, le film polonais expose l’arrivée d’un prêtre, envoyé pour sauver la Mère Supérieure du village, apparemment possédée par huit démons. Les premières scènes font curieusement penser à l’arrivée insoucieuse de Jonathan Harker dans le village transylvanien qui héberge le manoir de son client, le comte Dracula, motivé à emménager dans la ville du Grand Brouillard. Le très gros plan sur la mère reverente accompagné d’un regard caméra, tout en verbalisant frontalement “Je suis Satan !”, de quoi marquer les esprits. Les rires mesquins des nonnes, ajoutent une dose de diablerie aux danses décomplexées qui accompagnent leur déplacement groupé dans le lieu dit saint. Comme se prendre une vague de nonnes possédées. 

Certains commentaires contemporains ont perçu le film sous le prisme de lutte historique du peuple polonais, piégé entre le rationalisme de l’État communiste et la foi de l’Église. 

Lauréat du Prix du Jury au Festival de Cannes 1961, Mère Jeanne des Anges ne tombe pas aux oubliettes, ce n'est pas un lost movie. En revanche, c’est certainement un film qui mérite une bien meilleure réputation et un public plus large. Le long-métrage instaure l’exorcisme, la flagellation et le meurtre, mais il marche à contre-pied de la version extrapolée (bien que merveilleuse) de Ken Russell sur la même histoire. Mère Jeanne est un film plus calme, plus discret et d’autant plus efficace. Les amateurs de classiques de l’étrange tels que Nosferatu (1922) et Le Grand Inquisiteur (1968) devraient trouver leur bonheur dans Mère Jeanne des Anges.

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Vous connaissez sans doute la suite de cette chanson de Soeur Sourire, sortie en 1963, propulsée au rang de véritable succès planétaire pour son rythme entraînant (et entêtant). En 2012, la mélodie tourne en continu dans les couloirs de l’hôpital psychiatrique de Briarcliff, où Jessica Lange dirige d’une main de fer l’établissement, sous l'habit pieux de Sœur Jude. Celle-ci s’évertue à croire en son ascension auprès de Monseigneur Timothy Howard (Joseph Fiennes) qui rêve de devenir pape.

Les 13 épisodes démultiplient la figure de la nonne à travers les outils sériel, les arcs, les cliffhangers et les épisodes. Soeur Jude préserve une ambition intime, que lui chuchote sans retenue Monseigneur, alors qu’ils ne sont que tout les deux dans la pièce. Dans un élan de ferveur irrépressible, Soeur Jude défait son habit comme si elle ôtait sa pudicité. Sa nuisette en satin rouge s’anime au rythme d’un instrumental sulfureux, qui s'entrechoque à la rigidité apostasiée pour l'occasion. Le désir interdit de la scène est un clin d’œil salace et sensuel à l’influence de la nonnesploitation.


 

Parmi les rôles de Jessica Lange dans les saisons d'AHS, Soeur Jude est son meilleur, car son arc demeure complexe et surprenamment complet.  Au fur et à mesure de la saison, Soeur Jude s'effondre, une autre nonne se doit de reprendre le flambeau de la nonnesploitation, Soeur Mary Eunice (Lily Rabe) en est l'héritière. Cette nouvelle forme dominatrice est initialement, une créature pure, niaise et fragile. Cet ange tombé du ciel est malheureusement confronté, malgré lui, à son antithèse depuis que le diable l’habite. Une scène musicale traduit parfaitement l’héritage hérétique de la nonnesploitation. La figure autrefois candide de Soeur Mary Eunice s’adonne à une danse sexy sur You Don’t Own me, toute vêtue de la luciférienne nuisette dentelée que portait Soeur Jude. La succession de la nonnesploitation se fait à travers l'héritage de la lingerie. La peau laiteuse de la possédée abrite un mal qui jouit des provocations envers le crucifix arboré au mur. La vertu religieuse est moquée, outragée.

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D’autres œuvres cinématographiques ont abordé la nonnesploitation à travers les décennies. La figure de femme pieuse inspire l'opposition : l’érotisme et l’horreur. Tout en abandonnant la première thématique, les nonnes sont devenues de véritables emblèmes horrifiques, notamment avec  la franchise Conjuring qui mise sur le design horrifique de La Nonne (2018 et 2023), sans que les intrigues animent une cohérence quelconque. Le visage blême de cet être possédé par un démon y fait simplement figure de prétexte à des jump scares efficaces.

Par ailleurs, nous pourrions établir un pont avec la domination malsaine qu’entreprennent les Bene Gesserit dans la saga à succès Dune, adaptée dernièrement par Denis Villeneuve, notamment pour leur manigances perfides autour des familles, qu’elles jugent plus à même d’hériter du pouvoir (ou non). Ainsi que pour leurs rôles que nous pourrions juger de proxénète, notamment pour leur gestion des grandes lignées de l'univers. 

Alors qu’Immaculée occupe une place honorable au box-office français, La Malédiction : L’origine prequelle de The Omen, s’apprête à faire son entrée en salle le 10 avril prochain. Le prochain numéro du magazine Première (550) consacre une interview à Nell Tiger Free qui incarne une femme au service de l’église romaine. Sa foi est mise à rude épreuve. Elle s’est confiée sur le projet :  “Depuis des années, les femmes savent ce qui fait peur - sans doute mieux que les hommes. Jusque-là, dans les films, on était surtout bonne à courir toute nue ou à se faire couper en deux. Qu’on reprenne un peu le pouvoir n’est que justice”, des propos à retrouver dans leur intégralité dans le magazine 550 Première. Voici la bande-annonce :