Le génie des effets spéciaux, héros du documentaire Trumbull Land, explique comment il compte réinventer le langage des images.
Après un passage par le Festival de Cannes, la copie 70mm de 2001, l’Odyssée de l’espace, tirée du négatif original à l’occasion des 50 ans du film, était projetée cette semaine au Festival Lumière. Pour la présenter, après Christopher Nolan sur la Croisette en mai dernier, Thierry Frémaux avait invité cette fois-ci le magicien des effets spéciaux Douglas Trumbull (qui n’avait que 23 ans quand Stanley Kubrick l’embaucha pour bosser sur son chef-d’œuvre SF). Trumbull, qui a collaboré par la suite à quelques autres monuments du cinéma (Rencontres du troisième type, Blade Runner, The Tree of Life…) était également à Lyon en tant que star de Trumbull Land, passionnant documentaire réalisé par Grégory Wallet, qui sera diffusé sur TCM Cinéma le 6 décembre prochain. Wallet est allé filmer Trumbull dans ses studios du Massachusetts, où l’homme continue ses expérimentations et cherche à réinventer le langage cinématographique. Tout en célébrant l’anniversaire d’un des plus grands films jamais conçus, Douglas Trumbull nous a détaillé la révolution visuelle qu’il est en train de fomenter.
50 choses à savoir sur 2001, l’Odyssée de l’espacePremière : Combien de fois avez-vous vu 2001 en 2018 ?
Douglas Trumbull : Oh, je ne reste pas jusqu’au bout à chaque projection, vous savez… Mais je dirais six fois en tout.
Et quelle était la meilleure projection ?
Techniquement ? Sans doute celle du festival de Sitges, la semaine dernière. Ils montraient la conversion digitale en 4K, sur un très grand écran, dans une très grande salle. C’est sans doute la meilleure façon de voir le film.
Mieux que la version "unrestored" en 70mm que Christopher Nolan a présentée à Cannes ?
Le 4K, c’est mieux, il n’y a pas de grain, pas de vibration, la luminosité est meilleure, les couleurs aussi. C’est un format supérieur. A mes yeux, la pellicule, c’est du passé. Je suis au-delà. I’m all digital.
Voir le film projeté en 70mm, c’est juste un trip nostalgique ?
Non, non, c’est une expérience très valide aussi ! Et je réalise grâce à ça que plein de jeunes n’ont pas vu 2001 sur grand écran, ou n’ont pas vu 2001 tout court. Ils ignorent tout de ce monde disparu, celui des films pensés pour l’écran géant qu’on tournait dans les années 50, 60, 70. Des films épiques comme Lawrence d’Arabie, qui utilisaient les ressources de l’écran géant pour raconter une histoire de façon différente. Donner par exemple au public la sensation d’être vraiment dans le désert. C’est beau. Une télé ne peut pas procurer cette sensation-là.
Que pensez-vous du fait que Christopher Nolan a officiellement été désigné comme l’héritier de Kubrick cette année ?
Il s’est auto-désigné ! Je n’ai pas de commentaire à faire à ce sujet. J’ai proposé à Warner de m’occuper de cette restauration, mais ils ont décliné ma proposition. Je connais le film intimement. Mais ils voulaient le faire avec Christopher Nolan car ils ont un deal avec lui, c’est chez eux qu’il fait ses films. Donc il a pris le contrôle et… je n’ai rien à ajouter.
Vous auriez pu travailler ensemble, non ?
Il ne me l’a pas demandé.
Vous présentez 2001, l’Odyssée de l’espace au Festival Lumière en même temps que Roma, d’Alfonso Cuarón, dont tout le monde se demande si ce n’est pas dommage de le découvrir sur Netflix plutôt qu’en salle…
Le cinéma est dans une grande phase de transition en ce moment, en raison de l’émergence de Netflix, Hulu, Amazon, etc. Beaucoup de films à petits budgets sont désormais visibles sur des tablettes, des ordinateurs… Cette manière de regarder devient la norme, surtout pour les jeunes. Mais si beaucoup de gens désertent les salles de cinéma, c’est aussi tout simplement parce qu’ils n’espèrent plus y vivre une bonne expérience. La plupart des salles sont mauvaises. Les conditions de projections ne sont pas satisfaisantes, les écrans non plus, les sièges pas confortables…. Il y a des raisons au déclin de l’exploitation des films en salle. J’essaye de changer ça. Le cinéma pensé pour le grand écran est un art perdu. Il faut que ça redevienne un enjeu.
Quel est votre plan ?
Un des problèmes que Kubrick avait en faisant 2001, c’est la vitesse de projection de 24 images/seconde. Si la caméra bouge trop vite, ça brouille l’image. Stanley n’aimait pas ça. C’est pour ça que les mouvements de caméra chez lui sont si lents. Il n’y a pas de flou dans 2001. Le 24 images/seconde a été inventé en 1927 et on l’utilise encore aujourd’hui, 90 ans après ! Il faut reconsidérer ça. J’y réfléchis depuis 35 ans et j’ai enfin réussi à trouver le moyen de faire des films à 120 images/seconde où l’image resterait stable, même dans les scènes d’action. J’essaye de faire en sorte que le résultat soit cinématographique, que ça ne ressemble pas à du soap-opera. Il y a plusieurs réalisateurs aujourd’hui qui sont sensibles à ça. Peter Jackson a fait Le Hobbit à 48 images/ seconde, Ang Lee Un Jour dans la vie de Billy Lynn à 120 images/seconde, James Cameron fait la suite d’Avatar en 48 images/seconde… La révolution est en marche. Et mon procédé est au point. Je vais vendre la licence à l’industrie. Pour que d’autres cinéastes s’en emparent et fassent des films immersifs, réellement spectaculaires. Pas de la télévision sur grand écran.
Quels obstacles vous restent-ils à surmonter ?
Des questions de business. Je dois convaincre l’industrie. J’ai fait cette découverte merveilleuse il y a quelques années : les projecteurs numériques actuels, qui projettent à 24 images/seconde, peuvent en fait projeter à la vitesse que l’on souhaite. Parce qu’en l’état, chaque image est en réalité projetée 5 ou 6 fois. Ils peuvent donc projeter du 120 images/seconde. L’équipement n’a pas besoin d’être changé.
Que faut-il changer dans les salles alors ?
Il faut des écrans plus grands, plus lumineux, et surtout casser cette vieille tradition des rangées de fauteuils, qui oblige à regarder l’écran depuis des angles abominables. Beaucoup de choses ne vont pas. Maintenant que j’ai compris tout ça, je vais réaliser un film pour montrer la voie à l’industrie.
Ce film, c’est Lightship ? Celui dont vous parlez dans Trumbull Land ?
Oui. L’industrie comprendra ainsi qu’on peut ramener les gens dans les salles et qu’il y a de l’argent à se faire. D’autres cinéastes s’en empareront ensuite. Le cinéma, ça peut être beaucoup plus que de bonnes histoires et des gros plans sur des acteurs. Quelque chose de réellement immersif. Regardez où nous sommes : à Lyon, sur les lieux même où les Lumière ont inventé le cinéma. Mais il n’a pas beaucoup changé depuis. Il est temps !
Trumbull Land, de Grégory Wallet, le 6 décembre sur TCM Cinéma.
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