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Après Le Village sorti en 2004, La jeune fille de l'eau ne manquera pas de surprendre les admirateurs de Shyamalan. Le cinéaste livre ici son film le plus théorique et réflexif où, entre auto-analyse et mise en abîme, il nous demande de croire, envers et contre tout.
- Vos impressions ? discutez du film La jeune fille de l'eau dans les forums cinémaEtre ou ne pas être, croire ou ne pas croire, telles sont les questions... et les grands sujets de M.Night Shyamalan. Interrogations fondatrices, à l'origine de toutes les fictions, et qui avec La jeune fille de l'eau sont devenues les problématiques d'un film ouvertement réflexif. Avec comme point de départ le conte, les légendes, les mythes et plus simplement ce qu'il nomme une « bed time story » (une histoire qu'on lit avant de se coucher), le cinéaste déconstruit le principe de fiction tout en proposant une auto-analyse de son propre cinéma.Comment est-on passé d'un cinéma néo-classique, avec entre autres ses précédents Signes et Le Village, à une fiction plus discursive et surtout beaucoup plus symbolique voire mystique ? Au départ, pourtant rien ne semble faire de La jeune fille de l'eau un objet davantage théorique que ne l'était Le Village. Mais en racontant l'histoire de Cleveland Heep (Paul Giamatti), un modeste concierge gérant d'une copropriété rencontrant une nymphe (Bryce Dallas Howard) sortie de la piscine, Shyamalan construit une fiction-puzzle qui ne cesse de théoriser son récit. L'idée est que chaque personnage, et donc chaque individu, contient en lui quelque chose. En anglais, le terme purpose (utilisé ici et peu traduisible, sinon comme « voie ») donne une idée claire du projet que le film veut définir. Purpose ou ce que chacun doit accomplir, une sorte de destin menant à notre moi, à ce rôle que l'on doit tenir pour participer à l'écriture du monde. Dans La jeune fille de l'eau, le terme n'a rien d'innocent car tout y est question de sémantique.Cette nymphe, appelée explicitement Story, est venue sur terre pour rencontrer un des occupants de l'immeuble, un écrivain (joué par Shyamalan) devant finir un ouvrage censé changer la face du monde. Mais pour qu'elle puisse regagner son monde de l'eau (symbolisant, selon la légende expliquée au début du film par des dessins, un espace peuplé de créatures pacifiques qui furent un jour séparées du monde des hommes) et échapper aux démons qui la guettent, il faudra décrypter une série de codes où chacun a un rôle à jouer. Ainsi les personnages entrent dans une fiction qui les dépasse dans le temps (la fable, le conte etc.), mais dont ils deviennent les acteurs. Comme la bible, ils incarnent un symbole ou une métaphore dont le sens s'inscrira dans l'histoire et nos croyances. Tout le film se structure alors sous nos yeux. Son discours prend sens au fil d'un récit où chaque figure est l'une des clés de la narration en train de s'écrire devant nous. Ils sont acteurs d'une fiction sur la fiction, d'une écriture en abîme, où le cinéaste lui-même se met à nu, comme si son pouvoir d'auteur en dépendait.Un film chaleureux et... inquiétant
Sous ses airs cryptés, le message est néanmoins limpide : « il faut croire ». En quoi ? En nos histoires, en la fiction comme invention des possibles, en ce qu'une fois devenu adulte, par la force de notre cynisme, nous aurions oublié. La nature prophétique du film est évidente. Que Shyamalan se donne le rôle du père du livre, dont l'écriture fera naître chez un enfant des convictions qui en feront un élu, achève de ciseler le caractère filial et mystique de l'oeuvre. Mais du conte (à l'origine du film, il y aurait une histoire que Shyamalan avait inventée et contait à ses filles) à un message plus métaphysique, le passage n'est pas si évident. Si La jeune fille de l'eau nous interroge sur la permanence de nos croyances et le pouvoir de la fiction, son apparence à la fois maîtrisée et naïve transforme le conte de fée en simili folklore new age pas forcément convaincant.Malgré tout, c'est ce parti pris d'oser jouer effrontément avec une articulation théorique et symbolique qui rend le film intéressant. Il y a comme une volonté obsessionnelle de persuasion, voire d'auto-persuasion, à croire et à nous demander de croire. En se voulant calme, poétique, confiant, chaleureux, le film en devient finalement inquiétant. Ne voulant pas être remis en question, il ose même éliminer le personnage qui pourrait défaire la fiction, celui du critique de cinéma. Ce parti pris n'est pas un règlement de compte de Shyamalan. Il est plutôt l'affirmation presque hystérique de la toute puissance de la fiction en soi, en évitant que quoi que ce soit ne puisse la faire vaciller. Ce refus conduit à regarder La jeune fille de l'eau comme un conte qui s'imposerait en tant que réalité absolue, concrète, indiscutable. De fait, il est habité d'une certaine démence, une force étrange dont il tire à la fois ses qualités mais aussi ses aspects les plus étranges et dérangeants.La jeune fille de l'eau
Un film de M.Night Shyamalan
Avec : Paul Giamatti, Bryce Dallas Howard, M. Night Shyamalan, Bob Balaban, Jeffrey Wright, Freddy Rodriguez, Bill Irwin, Jared Harris, Sarita Choudhury.
Etats Unis, 2006 - 109 mn
Sortie en salles (France): 23 août 2006[Illustration : © Warner Bros. Pictures]
Sur Fluctuat:
- Lire dans nos archives la chronique du Sixième sens (1999)
- Lire la chronique de Signes (2001)
- Lire la chronique du Village (2003)
- La bande annonce de La jeune fille de l'eau dans Ecrans, le blog cinéma
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